Soutenez

Nisk, atihkw, mûs…

Chez les Cris, nous avons quelque chose qui s’appelle le Goose Break. Pendant les deux premières semaines de mai, les écoles sont fermées et les bureaux aussi, pour permettre à tout le monde d’aller chasser l’outarde. Je suis d’ailleurs particulièrement fière de pouvoir dire que notre commission scolaire a adapté son calendrier scolaire en fonction de traditions millénaires. C’est une période où j’aime beaucoup retourner chez moi : tout le monde se rassemble dans le bois et les jeunes apprennent des plus vieux. C’est comme si, pendant deux semaines, nous étions Cris sans concessions ni honte. Mais depuis quelques années, force est d’admettre qu’on sent qu’il y a quelque chose qui cloche. Les froids glaciaux en mai empêchent les outardes de prendre d’assaut le Nord. D’autres fois, c’est totalement le contraire: elles arrivent trop tôt. Hier, près de Kahnawake, j’en ai vu une cinquantaine, puis une connaissance a écrit sur Facebook: «SPOTTED: GEESE.FLYING.NORTH.» Ce n’est pas normal.

Les nisketsh (bernaches du Canada) ne sont pas une espèce menacée d’extinction. En fait, la population a fortement augmenté au cours des dernières années. Elles se réfugient dans des zones plus tempérées, où elles sont à l’abri des prédateurs. C’est pour cette raison qu’il n’est pas rare de les voir dans des champs au sud, là où elles étaient absentes jadis. Là est le problème. Les changements climatiques viennent radicalement changer leurs habitudes de vie, leur trajectoire et les régions où elles nichent. En plus de poser problème aux agriculteurs du Sud, les changements dans leurs habitudes de migration posent problème aux Autochtones, qui ont un mode de vie traditionnel durant certaines périodes de l’année. Contrairement à ce que peut dire Denise Bombardier, 30% des Cris ont un mode de vie traditionnel et, pendant le Goose Break, ils sont encore plus nombreux à se rendre à leur camp de chasse.

Mon peuple a dû se plier à plusieurs choses concernant la chasse, au cours des dernières décennies. Le caribou forestier est en voie d’extinction à Eeyou Istchee, donc les tallymen (ceux qui s’occupent des lignes de trappe) se sont entendus pour ne plus les tuer. Ces magnifiques bêtes trouvent refuge dans la vallée de la Broadback, dernière forêt vierge au Québec et territoire convoité par les compagnies forestières et minières. Quant à l’écotype toundrique, son nombre a considérablement baissé. Le troupeau de la rivière aux Feuilles fait présentement l’objet d’une surveillance accrue et de discussions dans l’enceinte des parlements. D’ailleurs, on apprenait récemment que la Société pour la nature et les parcs était prête à se battre pour l’espèce devant les tribunaux, accusant la ministre McKenna de tergiverser et de mal protéger les habitats. Les changements climatiques affectent beaucoup la migration du caribou, privant ainsi beaucoup d’Inuit, de Cris et d’Innus de la possibilité de se nourrir de l’espèce.

Les inquiétudes chez moi sont nombreuses. Elles le sont aussi chez mon peuple. Les tallymen sont ceux qui voient les conséquences des changements climatiques et du «développement territorial»  chaque jour. Ça me fait donc sourciller quand on préfère écouter des scientifiques qui n’ont jamais habité le Nord et la forêt de leur vie.

Traduction du titre: L’outarde, le caribou, l’orignal…

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.