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Une question de bêtise, pas de code vestimentaire

Pour justifier l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique, on invoque le besoin de neutralité de l’État. On dit : «il faut que les fonctionnaires qui représentent l’État soient neutres et fassent preuve d’impartialité, que leurs convictions religieuses n’interfèrent pas dans leur façon de servir ou d’aider les citoyens». Je veux bien, mais je me demande en quoi les signes religieux y seraient pour quelque chose.

J’ai horreur que l’on se serve d’anecdotes pour tirer des conclusions, et dans ce débat, on le fait beaucoup pour illustrer que les signes religieux posent problème. Laissez-moi vous en raconter deux qui montrent, à leur façon, que ce ne sont pas les signes religieux, mais la bêtise, ou, disons, la divergence des valeurs, le problème.

À titre de femme et de lesbienne, je fais partie de deux groupes que l’on veut protéger par l’interdiction du port de signes religieux. On ne voudrait pas, entre autres, qu’un fonctionnaire, en raison de ses croyances religieuses, me discrimine sur la base de mon sexe et/ou de mon orientation sexuelle.

Il y a quelques années, j’ai eu à faire, dans un CLSC, à un médecin que je qualifierais de rétrograde, qui a remis en question mon orientation sexuelle. Je n’entrerai pas dans les détails de notre discussion, de façon à préserver la confidentialité de mon propre dossier médical. Je me contenterai de dire que les jugements de valeurs du professionnel qui était devant moi ont eu un impact négatif sur le service que j’ai reçu. J’ai porté plainte au CLSC, ma plainte a été écoutée et j’ai pu voir un autre médecin. Ce n’est pas une situation idéale. Avoir été plus vulnérable, je serais peut-être rentrée chez moi la mine basse et j’aurais googlé : «thérapie pour arrêter d’être lesbienne».

La situation est déplorable, mais aucunement attribuable à quelque signe religieux que ce soit. Je suis juste tombée sur un médecin con, mal informé, ou profondément convaincu que l’homosexualité, c’est mal. J’aurais tiré la même conclusion ce médecin eût-il porté la kippa, la croix, ou whatever. Bon, j’avoue, j’ai un peu fait de l’âgisme en me disant que c’était parce qu’il était d’une autre époque. Doit-on retirer pour autant le droit de pratique aux vieux médecins? Bien sûr que non. À moins qu’ils aient des cataractes ou des tremblements qui les empêchent de réussir leurs chirurgies, mais ça, c’est une autre histoire.

Plus récemment, j’étais invitée à démystifier l’homosexualité dans une classe de futures infirmières dans le cadre du bénévolat que je fais pour le GRIS. Lorsque j’ai partagé mon désir d’avoir des enfants, je me suis heurtée à la rigidité d’un élève qui semblait trouver ce projet contre nature. Est-ce que ce sont ses convictions religieuses qui étaient à l’origine de son malaise? En l’absence de signes ostentatoires, impossible de le dire! Il n’en demeure pas moins que ce futur infirmier trimbalera avec lui sa conception limitée de la famille dans son métier. Espérons que le cours de socio dans lequel j’intervenais lui aura fait comprendre qu’au Québec, on a jugé que deux mamans ou deux papas pouvaient élever un enfant.

Je trouve dommage que l’on réduise la neutralité de l’État à des signes religieux. Quand on comprend à quel point le problème des valeurs est profond, on réalise à quel point la solution proposée, celle coulée dans les médias, est simpliste.

Le pire, c’est que notre première ministre a accidentellement révélé cette incongruité en tentant de résoudre un dilemme posé par Anne-Marie Dussault lors d’une entrevue à l’émission 24 heures en 60 minutes. Après lui avoir fait remarquer que certains hommes portaient la barbe pour des raisons religieuses, l’animatrice lui a demandé : «Comment savoir si un homme porte la barbe pour des raisons religieuses?»

«Il ne devra pas faire preuve, dans son travail, de partialité, ni s’identifier comme pratiquant et essayer d’influencer une personne qu’il sert ou qu’il aide», a répondu madame Marois.

Nous avons là la ligne de conduite qui devrait dicter le comportement de tous les fonctionnaires. Qu’ils portent la barbe, la kippa, le voile, qu’ils soient «blancs, jaunes, noirs, mauves, bleus avec des pitons jaune-orange», comme disait Pierre Falardeau, ou qu’ils soient tout simplement de gros colons homophobes et sexistes au plus profond d’eux-mêmes, jamais leurs croyances ne devraient interférer dans leur travail. Mais ça, j’en conviens, c’est plus compliqué à formuler dans un programme politique.

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