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Audrey Miller: une pionnière de l’éducation numérique au Québec

Photo: Le CoWork

Audrey Miller est une femme qui est tombée dans le numérique en 1998 alors qu’elle alimentait le premier site web du magazine scientifique Les Débrouillards (!) et n’en est jamais sortie. Elle s’est donnée pour mission de faire que tous les élèves québécois aient les bons outils techno afin de créer une société innovante.

Rédactrice en chef d’École Branchée, le magazine de l’enseignement à l’ère numérique, dès 2001, elle y a repris son poste en 2012. Elle est également vice-présidente de l’AQUOPS (Association des utilisateurs d’outils technologiques à des fins pédagogiques et sociales, qui existe depuis 1981) et a été élue au CA (Conseil d’administration) de l’EDTEQ (Entreprises pour le développement des technologies éducatives au Québec). Je me suis entretenue avec elle.

D’où vient ton intérêt pour le numérique? Quelle place y consacres-tu dans ta vie?
Tout a commencé au début de mon secondaire. J’ai eu la chance d’aller dans une école où, dans certaines classes, il y avait jusqu’à trois ordinateurs. C’était révolutionnaire en 1992! Un ami m’avait appris quelques rudiments de HTML. J’ai eu la piqûre de la programmation web. En secondaire 2, je me suis engagée dans un comité qui aidait les profs et les élèves en informatique. Mon esprit de jeune ado avait perçu que je devais prouver que j’avais ma place dans ce groupe majoritairement composé de garçons, j’en avais donc fait mon combat personnel! Le numérique a une place centrale dans ma vie. J’ai appris la programmation web moi-même et j’ai tenu différents sites d’information sur mes passions d’adolescente. Professionnellement, j’ai toujours travaillé dans des domaines en lien avec le numérique et l’éducation. J’ai raté ma vocation d’enseignante, mais au final, j’ai la chance «d’enseigner» aux enseignants!

«C’est presque rendu cliché de répéter que de nombreux emplois qu’occuperont nos jeunes plus tard n’existent même pas encore!» – Audrey Miller

Pourquoi c’est important d’aider les enseignants à utiliser davantage le numérique?
Les jeunes sont le coeur de notre société, et notre société est numérique. C’est une nouvelle forme de littératie qui transforme tout: les communications, les interactions sociales, le divertissement, le marché du travail, etc. L’école n’a pas le choix de s’y intéresser, non seulement parce que le numérique peut révolutionner la façon d’apprendre et d’enseigner – pensons au téléphone intelligent –, mais aussi parce qu’il est capable de mettre en lumière le meilleur de l’être humain, comme le pire.

L’identité des jeunes aujourd’hui comprend leur identité physique, mais aussi numérique. Imaginons maintenant nos quelque 85 000 enseignants du secteur jeunes (primaire-secondaire) au Québec: la plupart ne sont pas nés dans cette ère numérique. Leurs élèves en savent plus qu’eux à ce sujet, c’est tout un changement dans une école où on est habitué de transmettre le savoir.

De plus, nos enseignants doivent composer avec de nombreux cas problématiques et d’importantes exigences administratives pour lesquels ils ont reçu peu de formation. Quand on leur demande d’utiliser davantage le numérique, on comprend que ce ne soit pas leur principale préoccupation! En plus, ils ont la pression de la société qui se questionne sur la gestion du temps-écran des enfants.

On sait également qu’utiliser le numérique en éducation a peu d’impact sur la réussite et pose plus de problèmes que d’avantages lorsqu’on s’en sert uniquement pour réaliser quelque chose qu’on aurait pu faire sur papier. Par exemple, plusieurs écoles se vantent d’être «numériques» alors que leurs enseignants utilisent un iPad pour faire des dictées trouées en PDF, ou des tableaux interactifs utilisés comme simples projecteurs! C’est là qu’il faut travailler avec les enseignants pour dégager des usages réellement pédagogiques. On entend d’ailleurs de plus en plus parler des «compétences du 21e siècle», qui insistent sur les usages du numérique à des fins de création, et non uniquement de consommation. Tout cela demande beaucoup de temps et d’investissement personnel, et c’est pourquoi il est important d’offrir un soutien constant aux enseignants.

Comment réagissent les enfants à l’intégration du numérique en classe?
La première réaction est toujours enthousiaste! D’ailleurs, la recherche montre que c’est le premier avantage du numérique en éducation: il suscite la motivation des jeunes. Quand on sait que la motivation est un facteur de réussite et de persévérance scolaire, ce n’est pas à négliger. Cependant, cet intérêt peut rapidement tomber si les tâches proposées sont répétitives ou se substituent simplement aux tâches sur papier, sans plus-value.

Au niveau des usages dont on entend souvent du bien de la part des jeunes, on compte la robotique pédagogique, la construction d’univers virtuels avec Minecraft, la programmation avec Scratch, le fait de pouvoir écrire pour être lu par un public (ex: blogue, Twitter) et non seulement par un enseignant (des recherches ont montré des améliorations significatives à ce niveau), la création de vidéos (bien plus motivant qu’un simple exposé oral, et on peut le publier sur YouTube ensuite), la gestion de la vie de la classe par une plateforme «gamifiée» comme Classcraft, etc.

Les enseignants qui intègrent bien le numérique notent d’ailleurs une grande autonomie des élèves et une collaboration entre eux, plutôt qu’un isolement derrière l’écran comme plusieurs le décrient.

Leur gestion de classe n’est pas un problème non plus, alors que pour ceux qui se contentent de tâches habituelles réalisées à l’ordinateur, la dynamique de classe peut effectivement rapidement devenir infernale…

As-tu des exemples de réussite suite aux actions d’École Branchée?
Des enseignants nous racontent qu’ils ont découvert de nouvelles idées, applications ou façons de faire avec le numérique, ou qu’ils se tiennent tout simplement informés grâce à nous sur les nouvelles tendances. Même s’ils ne se sentent pas prêts à faire le saut, on se dit que petit à petit, on contamine positivement de plus en plus d’enseignants en leur donnant le goût d’oser. On nous a même rapporté que notre magazine qui traînait dans une salle des profs avait entraîné des discussions entre collègues pro et anti-numérique… et que des positions ont fini par changer.

«Il faut cesser les débats pour ou contre le numérique à l’école: il est là pour rester! Voyons comment on peut tirer profit de cet outil puissant et préparer nos jeunes à faire partie d’une société innovante.» – Audrey Miller

Comment se situe le Québec en matière d’éducation et de numérique?
Nous avons un contexte qui, bien qu’imparfait, nous permet un équipement assez intéressant en matériel numérique dans les écoles. Nous avons des milieux créatifs qui trouvent le moyen de parvenir à leurs fins quand ils en font un projet organisationnel.

Contrairement aux États-Unis, où l’équipement en matériel va bon train, mais où la réflexion pédagogique semble traîner, nous avons aussi un système qui accorde une grande importance à l’aspect pédagogique de l’intégration du numérique. Les Français ont aussi un grand souci pédagogique, mais un contexte qui rend l’équipement très complexe. Donc, quand on se compare, on se console. Il y a aussi de beaux exemples du côté de l’Ontario francophone.

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