Une dizaine de citoyens dénoncent le phénomène de la «rénoviction», un fléau qui frappe de plein fouet le Sud-Ouest de Montréal. Des promoteurs utilisent le prétexte de la rénovation d’un immeuble afin d’expulser ses locataires.
C’est le cas vécu par Lorraine Rochon, une citoyenne du quartier de Pointe-Saint-Charles, qui vit dans le même immeuble depuis 10 ans. Il y a deux ans, des promoteurs ont acquis son édifice et les terrains adjacents sur lesquels 21 condos sont entrain d’être construits, face au métro Charlevoix. Deux des quatre locataires ont accepté de partir moyennant une offre financière de quelques milliers de dollars.
Entretemps, le nouveau propriétaire a rénové les logements des deux anciens locataires. «Le prix des loyers est passé de 1 000$ à 2 200$ par mois», soutient Mme Rochon qui est menacée à son tour d’éviction depuis mars dernier.
La quinquagénaire s’imagine mal quitter à une période où il y a peu ou pas de logements abordables à Montréal. «Même si vous construisez des logements sociaux, je ne suis pas admissible puisque je fais partie de la classe moyenne», confie-t-elle.
Lors de la séance du conseil d’arrondissement de novembre, un groupe de cinq trentenaires a raconté être menacé d’expulsion par un nouveau propriétaire qui a acheté leur immeuble de la rue Centre, en juillet. Le promoteur voudrait utiliser la cour arrière de leur immeuble afin de construire six nouveaux logements.
«On se fait dire par notre nouveau propriétaire qu’il veut nous évincer afin de faire plus d’argent», a déploré l’un d’eux.
Le maire suppléant du Sud-Ouest, Alain Vaillancourt, confirme l’existence des «rénovictions». «Cela nous préoccupe et on tente de régler de fléau-là», dit-il.
Embourgoisement
L’achat des baux est devenu une plaie dans le quartier, mentionne la directrice de l’organisme les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne, Claude-Catherine Lemoine.
«Cela arrive à des gens à faible revenu qui habitent depuis des décennies dans un loyer. Un promoteur arrive et veut transformer l’immeuble en condo ou en logements de luxe. D’habitude, il offre des peanuts aux locataires, mais quand une famille vit dans la précarité et en mode survie, toute somme d’argent est alléchante», explique l’avocate.
Ce phénomène peu documenté, selon elle, est devenu un symptôme de l’embourgeoisement. «On voit les projets immobiliers de luxe aux abords du canal Lachine, mais on voit moins les transformations dans les immeubles de longue date», illustre-t-elle.
Les travailleurs sociaux sont de plus en plus interpellés par cette problématique. Les «rénovictions» développent du stress et des troubles anxieux chez les citoyens du quartier, observe l’agente des communications à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, Geneviève Lambert-Pilotte.
L’organisateur communautaire au Regroupement information logement (RIL), Sébastien Laliberté, attribue les «rénovictions» à la rumeur de la venue d’un futur stade, susceptible d’avoir des retombées majeures dans le quartier.
Solutions
Il est proposé de mieux protéger les droits des locataires alors que ceux à la propriété privée sont reconnus dans la Charte des droits et libertés.
«Un propriétaire qui achète un immeuble peut prendre un 6 ½ et en faire deux plus petits afin que ce soit plus payant. Rien ne l’empêche, c’est son droit», déplore M. Laliberté.
Plus de pouvoirs devraient être donnés aux municipalités afin qu’elles interviennent en faveur des locataires, croit l’avocate Claude-Catherine Lemoine. «Il faut revoir la Loi sur le droit au logement, ajoute-t-elle, s’il n’y a pas de changements législatifs, je pense que les quartiers centraux à faibles revenus sont en péril.»
Sept
Sept immeubles, soit 35 logements, sont touchés par le phénomène des évictions dans Pointe-Saint-Charles, selon Sébastien Laliberté du Regroupement Information Logement.