En mars dernier, la Cour suprême du Canada a tranché que la loi fédérale sur la taxe carbone, qui impose un prix national sur la pollution, était constitutionnelle. Adoptée en 2018, cette Loi était contestée par trois provinces : l’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario.
À l’aube de l’avènement d’un nouveau gouvernement canadien, que propose chacun des partis fédéraux à propos de la tarification du carbone?
Par Charles Séguin, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
La situation mondiale est préoccupante, peut-on lire dans la première partie du 6ᵉ Rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), publié en août.
L’étendue et l’intensité des changements climatiques, dont les vagues de chaleur, les sécheresses et les ouragans se sont accrus depuis le rapport précédent, publié en 2014. En outre, il est devenu indéniable que ces changements sont attribuables aux activités humaines. Seules des réductions massives d’émissions dans les prochaines décennies peuvent empêcher une augmentation de la température moyenne mondiale de plus de 2 °C.
Même si les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Canada semblent difficiles à atteindre (réduction de 30 % en 2030 et de 80 % en 2050, par rapport à 2005), ils ne sont pas assez ambitieux pour empêcher un réchauffement supérieur à 2 °C et ce, même si les autres pays du globe prenaient des objectifs comparables. Le Canada fait donc face à une pression internationale pour prendre des objectifs plus ambitieux.
Les objectifs ne veulent par contre rien dire s’il n’y a pas de moyens qui sont mis de l’avant pour les atteindre. Un moyen qui a fait ses preuves dans plusieurs pays est la tarification du carbone. Il consiste à imposer un coût sur les émissions de GES, qui sont autrement gratuites. Ce coût se répercute sur les biens et services qui génèrent ces GES, incitant les consommateurs à les délaisser au profit d’alternatives plus propres.
En tant que professeur au Département des sciences économiques de l’UQAM, j’ai beaucoup étudié les mécanismes de tarification du carbone, surtout dans le contexte canadien particulier où des initiatives provinciales côtoient la réglementation fédérale.
À l’aube de l’élection fédérale 2021, les différents partis proposent des stratégies très différentes en matière de tarification du carbone. Chacune de ces propositions aurait des conséquences différentes sur les futures émissions canadiennes et sur les coûts des réductions d’émissions réalisées.
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Les politiques actuelles
Depuis 2019, les provinces qui n’ont pas leur propre système de tarification du carbone sont sujettes aux politiques fédérales. Celles-ci se divisent en deux : une taxe sur les émissions issues des combustibles fossiles utilisés par les ménages et les petites et moyennes entreprises ; et un système de tarification fondé sur le rendement pour les grands émetteurs. En 2021, la taxe fédérale sur le carbone s’élève à 40 $/tonne d’équivalent CO2(éqCO2), ce qui représente environ 9 ¢/litre d’essence.
Les deux composantes du système fédéral s’appliquent en Ontario, au Manitoba, au Nunavut et au Yukon, alors qu’uniquement la taxe s’applique en Alberta et en Saskatchewan. Les autres provinces et territoires ont leur propre système de tarification, qui doivent être au moins aussi exigeants que le système fédéral.
Parti libéral: augmenter la taxe fédérale
Les libéraux proposent d’augmenter l’objectif de réduction des émissions de GES à l’horizon 2030 de 30 % à une fourchette entre 40 et 45 % sous le niveau de 2005. Pour se faire, ils comptent sur une augmentation annuelle de la taxe fédérale qui atteindrait 170 $/tonne d’éqCO2en 2030, soit environ 38 ¢/litre d’essence.
Le remboursement forfaitaire de la taxe carbone continuerait de s’appliquer dans les provinces soumises à la taxe fédérale. À noter que ce remboursement est indépendant de la consommation individuelle, représentant grosso modo le montant moyen payé par les consommateurs de chaque province. En plus d’être efficace, cette façon de retourner les revenus perçus de la taxe carbone bénéficie le plus aux ménages les plus pauvres, qui consomment généralement moins de biens générant des GES que le ménage moyen.
Parti conservateur: plafonner le prix sur le carbone
Les conservateurs proposent de maintenir l’objectif de réduction actuel du Canada (30 % de réduction en 2030), mais en plafonnant le prix sur le carbone à 50 $/tonne d’éqCO₂ (environ 11 ¢/litre d’essence). Ce niveau apparaît trop bas pour atteindre l’objectif et nécessiterait des politiques complémentaires non tarifaires dont les coûts sur les consommateurs et l’économie pourraient être plus élevés.
Un aspect particulier du plan conservateur est la création d’un compte spécifique à chaque contribuable, où ses dépenses en taxe carbone lui seraient remboursées individuellement pour faire des achats verts. Outre la complexité de mettre en place un tel système, cet aspect pourrait diminuer significativement l’efficacité du signal de prix de la taxe. Les consommateurs pourraient en effet anticiper le remboursement individuel égal à leurs dépenses en combustibles fossiles.
NPD: réduction de 50 % des émissions en 2030
Les néodémocrates proposent un objectif plus ambitieux de 50 % de réduction des émissions en 2030. Tout en maintenant une tarification du carbone, le NPD propose de resserrer les règles entourant le système basé sur le rendement pour les grands émetteurs. Ce dernier élément, tout en offrant une opportunité de réduction des émissions canadiennes, augmentera les coûts pour atteindre les objectifs et a le potentiel de simplement transférer les émissions vers d’autres pays.
Les néodémocrates proposent également des budgets carbone sectoriels et l’élimination de subventions au secteur du pétrole et du gaz. Bien que cela puisse générer certaines réductions à faible coût, l’absence de signal de prix uniforme est inquiétante. Si les budgets carbone ne sont pas fractionnables et échangeables entre les secteurs industriels, comme ils le sont dans le système de marché du carbone au Québec, les réductions risquent d’être insuffisantes et coûteuses.
Bloc québécois: fin des subventions aux énergies fossiles
Soutenant la poursuite du marché du carbone québécois, les bloquistes voudraient également la fin des subventions aux énergies fossiles. Ils proposent en outre de remplacer la taxe fédérale actuelle par un système de péréquation verte où seules les provinces ayant des émissions de GES par habitant supérieures à la moyenne canadienne seraient soumises à une taxe carbone, alors que les revenus seraient versés aux provinces sous la moyenne.
Parti vert: réduction de 60% des émissions en 2030
Les verts sont les plus ambitieux en termes de réduction des émissions, avec un objectif de 60 % en 2030. Leur plan mise sur une augmentation annuelle de la taxe carbone de 25 $, culminant à 240 $/tonne éqCO2en 2030 (environ 53 ¢/litre d’essence). Des ajustements tarifaires à la frontière, en fonction du contenu carbone des produits et du prix du carbone en vigueur dans le pays de production sont aussi proposés, mais les niveaux ne sont pas définis.
Le Canada doit montrer l’exemple
Les propositions qui misent sur peu ou pas de tarification du carbone risquent de manquer les cibles qui sont fixées ou d’engendrer des coûts supérieurs pour les consommateurs et l’économie canadienne. Ainsi, le plan libéral semble le mieux à même d’atteindre efficacement les cibles fixées, alors que les plans néodémocrates et verts, bien que plus ambitieux, n’ont pas de moyens suffisants ou masquent des coûts plus importants.
Il faut rappeler que le Canada génère annuellement moins de 2 % des émissions de GES de la planète et que seul, il ne peut espérer affecter significativement le degré de changements climatiques. La responsabilité canadienne est de montrer qu’il est possible, même pour un pays dont une large part de l’économie dépend des combustibles fossiles, de réduire significativement ses émissions à coûts raisonnables. Ce faisant, nous tracerons une voie que d’autres pourront suivre.
Charles Séguin, professeur agrégé de sciences économiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.