Si pour la mairesse de Montréal, c’est son sourire qui est devenu la signature qui la représente depuis sa première élection, à Québec, ce sont les souliers de course de Bruno Marchand qu’il a l’habitude de porter en toutes occasions, qui retiennent l’attention. Selon l’analyste Philippe R. Dubois, candidat au doctorat en science politique, il s’agit d’une véritable stratégie utilisant les codes du marketing. Quelle est l’importance de la «marque» pour les nouveaux politiciens?
Au terme d’une soirée électorale qui restera longtemps dans les annales politiques québécoises, le chef du parti Québec forte et fière, Bruno Marchand, un nouveau visage en politique, est devenu maire de Québec.
Annoncé vaincu à peine quelque minutes après la fermeture des bureaux de vote, il est parvenu in extremis à remporter la mairie avec à peine quelques centaines de voix d’avance sur sa principale rivale, Marie-Josée Savard, dauphine du maire sortant, Régis Labeaume.
Toutefois, ce dont on parle peut-être le plus depuis sa victoire, ce n’est ni de son parcours professionnel atypique, ni de ses résultats électoraux. Il s’agit de ses souliers de course qu’il a l’habitude de porter en toutes occasions. D’un point de vue de communication politique, cela est loin d’être anodin.
Le nouveau maire se présente comme un rassembleur et rejette ce qu’il appelle «la politique de niche», une stratégie politique qui se concentre sur certaines clientèles électorales plutôt que sur l’ensemble de l’électorat. Depuis sa victoire, il ne cesse de répéter qu’il veut mettre les considérations partisanes de côté. Bref, il semble aux antipodes du marketing politique que l’on réduit souvent à tort au clientélisme électoral, des termes qui ont bien mauvaise presse.
Pourtant, comme d’autres nouveaux élus avant lui, Bruno Marchand est bel et bien en train de se construire une marque politique. Mes recherches portent notamment sur l’étude des stratégies de communication politique, dont le marketing politique est un élément incontournable. À mon sens, le nouveau maire de Québec nous offre un bon exemple de ce phénomène.
La marque politique comme outil de positionnement
En science politique, le marketing politique se caractérise par l’adaptation de techniques propres au marketing commercial à des fins électorales et de gouvernance. Alors que l’électorat est de plus en plus volatil et peu intéressé par la chose politique, les partis et leurs candidats tentent de développer une «offre» politique capable de rejoindre des électeurs ciblés en fonction de leurs intérêts et de leurs besoins.
Cette offre prend diverses formes. Les promesses électorales en sont un élément manifeste, mais cela va bien au-delà du contenu des plates-formes électorales. La marque politique, tout comme c’est le cas pour la marque commerciale d’une entreprise, sert à exprimer une offre dans son ensemble que l’on cherche à associer à des émotions, à un «style», une philosophie. C’est un outil de positionnement qui permet de traduire facilement toute la complexité du monde politique en quelque chose de simple et d’attrayant.
Ainsi, de la même manière que l’on associe spontanément certaines caractéristiques et émotions à des entreprises commerciales — l’innovation et le design à la marque Apple par exemple — on cherche à produire le même effet d’association pour des entreprises politiques.
Plus qu’un logo ou un slogan, la marque se doit d’être incarnée pour être efficace. Elle s’applique donc à un parti, à ses candidats et à son chef, ce dernier étant le principal ambassadeur — si ce n’est l’élément central — de l’offre politique. Pour les nouveaux visages, projeter une marque forte est capital. Laisser les adversaires définir son image peut avoir des conséquences politiques désastreuses.
Des souliers comme élément de communication
Mais que viennent faire les souliers de Bruno Marchand dans toute cette histoire? Loin d’être un détail, ils en disent long sur la personnalité du maire de Québec, laquelle est l’élément de base de la marque politique qu’il désire projeter.
Le nouveau maire dit ne pas croire en l’axe gauche-droite au palier municipal et qualifie son parti d’extrême centriste. Ce n’est donc pas sur la base un positionnement politique original qu’il tente de se définir politiquement, mais davantage à partir d’un positionnement personnel.
Plusieurs ont souligné qu’il a su s’imposer dans une course à cinq alors qu’il n’était pratiquement pas connu du grand public. À l’annonce de sa victoire, il a déclaré aux journalistes: «C’est une course, ça s’est fini au sprint, alors ça prenait des chaussures en conséquence!»
Les analogies sportives font fréquemment partie de son discours et ses publicités télévisées le montraient d’ailleurs en train de courir.
Si l’homme est sportif, le politicien l’est aussi. Voilà ce qui semble constituer les éléments principaux d’un récit qui forme la pierre angulaire de la «marque Bruno Marchand». Ses souliers de course représentent un trait caractéristique de sa personnalité. Il en fait un élément de communication politique. Ils envoient un message d’authenticité, de détermination et de persévérance. C’est, de toute évidence, ce que lui et son équipe cherchent non seulement à projeter, mais à incarner, à rendre tangible aux yeux des citoyens.
Une marque qui dépasse son principal ambassadeur
La marque est déjà reprise et discutée, ce qui laisse à penser qu’elle est efficace. Pensons ici aux paris sur les médias sociaux quant à la couleur de ses souliers lors de sa participation à l’émission «Tout le monde en parle», ou encore à la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, qui s’est présentée chaussée de ses propres souliers de course lors de sa première rencontre officielle avec le maire.
L’image marque les esprits. La marque est reprise et on tente de s’y associer.
Soulignons que cette marque politique ne servira pas uniquement Bruno Marchand personnellement. Elle risque de définir aussi son mandat comme maire, si ce n’est l’image même de la ville. En effet, le marketing politique ne disparaît pas avec les isoloirs entre les périodes électorales. Il joue aussi un rôle en période de gouvernance. La marque personnelle des élus tend à s’imposer à celle des administrations qu’ils dirigent. Comme la marque Régis Labeaume a contribué à redéfinir la «Vieille Capitale», fort à parier que celle du nouveau maire transformera aussi à sa façon celle de Québec.
Ainsi, depuis quelques mois déjà, Bruno Marchand semble être en train de laisser sa marque… aux pas de course.
Philippe R. Dubois, candidat au doctorat en science politique, Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.