CHRONIQUE – C’est une aberration qui passe actuellement sous le radar de l’opinion publique. Elle mérite d’être nommée haut et fort considérant les inquiétudes qu’elle soulève pour de nombreuses communautés.
Le projet de loi 96 visant à bonifier la Charte de la langue française (loi 101) risque de mettre à mal la sécurité, le bien-être et l’accès de populations marginalisées à des services essentiels.
L’aberration ne réside pas en son principe même, mais bien dans le fait que certains articles vont très probablement marginaliser des communautés qui le sont déjà, notamment les personnes immigrantes, les personnes réfugiées et les Premières Nations.
C’est que le projet de loi déposé par le ministre Jolin-Barette implique que les personnes installées au Québec depuis plus de six mois se verront refuser, lors de leurs interactions avec des services publics essentiels, toute communication dans une autre langue que le français. Si les employé.e.s de l’État ne se plient pas à cette directive après six mois, ils et elles risquent des sanctions disciplinaires. Même le recours à des interprètes serait proscrit dans un tel contexte.
Mon objectif ici n’est pas de remettre en question le fait que le français soit la langue officielle du Québec. Plutôt, je cherche à souligner – à l’instar des 800 chercheur.se.s, expert.e.s et organismes en immigration ayant publié une lettre ouverte dans La Presse visant à sonner l’alarme – que cette manière de concevoir l’apprentissage d’une langue seconde (ou d’une troisième, voire quatrième, langue dans certains cas) est contre-productive.
En d’autres termes, ce n’est pas avec une main tendue d’un côté et un bâton de l’autre que l’on va donner le goût à des individus d’apprendre «la langue de Molière».
Ce n’est pas non plus en six mois qu’une personne peut maîtriser une langue comme le français. Même avec des connaissances de base ou un français dit «usuel», il sera très ardu d’aborder des enjeux plus délicats, qu’ils soient en lien avec la maternité, le logement ou une situation de violence conjugale, lorsque ces personnes auront à interagir avec l’appareil étatique, par exemple.
Si adopté comme tel, le projet de loi risque également de placer de multiples professionnel.le.s de la santé et des services sociaux dans un conflit éthique entre leurs obligations déontologiques visant à agir dans l’intérêt des individus et le respect de ladite loi.
Il apparaît clair qu’ici l’on comprend bien mal le contexte et les réalités des personnes nouvellement arrivées au pays, lesquelles peuvent devoir jongler avec de nombreux défis en plus de devoir apprendre une nouvelle langue. Apprendre une nouvelle langue, ça se fait à long terme, notamment grâce à l’immersion, la pratique, de la patience, de la bienveillance et un sentiment d’être accueilli.e.
Adopté tel quel, le projet de loi 96 risque de devenir un bar ouvert menant à de la discrimination envers ces communautés. De plus, il fragilise le lien déjà ténu avec ces populations, notamment en matière de santé et de services sociaux.
Les deux amendements proposés par de nombreux.ses expert.e.s en immigration, soit d’exempter les services publics essentiels et d’allonger considérablement la période où les personnes immigrantes peuvent recevoir des services dans une autre langue que le français, apparaissent plus que raisonnables.
Ainsi, il est encore temps pour le ministre Jolin-Barette de changer la donne et d’amender son projet de loi.