CHRONIQUE – Avant que l’on nage, ou plutôt patauge, en pleine mer populiste, on glanait ici et là quelques gouttelettes prétornade. On s’amusait grave, jugeant (nonchalamment) la chose inoffensive, en entendant Mario Dumont se farcir des «à l’ADQ, on s’occupe du vrai monde!». Du vrai monde? Et le faux, lui? On s’en fout, c’est ça?
C’était, bien entendu, le bon vieux temps. Là où l’on pouvait se moquer, sans crainte du lendemain, des velléités populistes de cour d’école. Bien avant les Trump, Orban, Zemmour et autres Bolsonaro. Bien avant l’attaque du Capitole. Bien avant, bref, un cratère socio-idéologique s’élargissant davantage, enterrant les cris, maintenant en sourdine, de gens dits «ordinaires».
Ordinaires? Quid la différence avec «vrai», au fait? L’ami Bédard, autour d’une bière, avait mis le doigt dessus. Le monde ordinaire est celui qui, sans manquer nécessairement d’ambition, ne reluque aucune responsabilité politique. Ne cherche ni gloriole, ni reconnaissance factice, ni prestige, sans pour autant renier l’importance des intérêts collectifs. Il accepte, le cas échéant et de façon épisodique, de mettre l’épaule à la roue.
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La recette classique du populiste consiste essentiellement en trois étapes. D’abord, se construire un ennemi fictif ou aux contours approximatifs. Ensuite, y aller d’une définition large et incertaine du «monde ordinaire» (ou variations sur thème), lequel serait maintenant en état de siège. Enfin, se présenter comme défenseur ultime de celui-ci face à l’ennemi depuis construit.
À l’instar de plusieurs, j’ai sourcillé en apprenant l’existence du convoi organisé par Rambo Gauthier. Le retour du goon de la Côte-Nord figurait difficilement, voire niet, sur ma carte de bingo 2022. Et sa justification? La défense, dixit le principal intéressé, du «monde ordinaire», dont il ferait indubitablement partie.
Dans un maelström de griefs flous ou scientifiquement mal avisés, le syndicaliste non vacciné lançait: «Une pandémie, ça tue du monde! Moi, je ne vois personne de mort autour!»
En parlant des médias: «Vous êtes complices de c’t’ostie de tueur-là», pointant l’Assemblée nationale.
Dans la même veine, Gauthier dessine sans gêne un (honteux) parallèle entre Hitler et «la dictature sanitaire», et excuse de facto les manifestants d’Ottawa ayant arboré la croix gammée.
De toute beauté.
Or, malgré les autoproclamations, le «monde ordinaire» n’est représenté en rien, ou si peu, par le leader populiste.
Parce que contrairement à lui, le salaire du «monde ordinaire» n’a rien à voir avec les 105 000 $ gagnés annuellement par Gauthier (chiffres de 2017, donc probablement davantage aujourd’hui). En fait, seulement 6% des Québécois.es jouissent d’un revenu dans les mêmes eaux, auquel s’ajoute une allocation mensuelle de 800 $ pour la voiture, soit 3, 4, 5 fois plus que les paiements, côté véhicule, de la moyenne des ours.
Parce que contrairement à lui, le «monde ordinaire» n’est pas demeuré insensible, il y a quelques années, au sort des naufragés syriens en quête d’asile: leur arrivée au Québec avait été qualifiée de «marde» par le représentant de la FTQ-Construction, laquelle dut se distancier de ces propos.
Parce que contrairement à lui, le «monde ordinaire» possède un dossier judiciaire quelque peu plus léger: selon une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada: «Les comportements […] liés à votre [i. e. Gauthier] condamnation pour intimidation, de même que ceux liés à la profération de menaces en 2009 où vous avez été acquitté et ceux liés à du harcèlement criminel où il y a eu un arrêt des procédures en 2014 […] sont contraires aux critères légaux de bonne conduite de la Loi sur le casier judiciaire.» Ajoutons à cela une autre condamnation, en 1998, pour avoir proféré des menaces, et la cour est pleine.
Issu et représentant du «monde ordinaire», donc? Pas vraiment, non. Celui-ci, au moment d’écrire ces lignes, est plutôt constitué de gens qui, même en en ayant franchement marre de la pandémie et des mesures, poursuivent sans broncher l’effort de guerre. Refusent les analogies nazies. Pensent solidairement à autrui, notamment les soignants de première ligne, les immunosupprimés et autres vulnérables, ainsi qu’à toutes les victimes du délestage actuel.
Avant de quitter Québec dimanche, histoire d’être présent à la job le lendemain, Rambo annonçait son retour dans… deux semaines, soit après le week-end de la Saint-Valentin et du Super Bowl. Aux manifestants de s’adapter à son horaire, faut croire.
La beauté de l’affaire? Que dans l’intervalle, tout porte à croire que d’autres mesures seront levées, cela permettant au leader de clamer victoire.
C’est ça aussi, le populisme: une propension à la bullshit.
Reste que, comme disait Havard, une brute qui marche va toujours plus loin que deux intellos assis.
Ça la fout mal.