À l’issue de l’enquête publique sur la mort de Pierre Coriolan, un homme noir souffrant de problèmes de santé mentale qui a été abattu par des policiers en 2017 à Montréal, le coroner Luc Malouin recommande une mise à jour de la formation des policiers.
C’est l’essentiel du message de son rapport d’enquête rendu public mercredi matin. Au terme de cette enquête publique, amorcée en février 2020 puis suspendue pendant plus d’un an en raison de la pandémie, le coroner avait affirmé souhaiter «changer le milieu policier pour le mieux».
Pierre Coriolan vivait un épisode de détresse et venait d’être expulsé de son logement lorsque les six policiers sont arrivés devant l’immeuble du quartier Ville-Marie.
Après avoir tenté de maîtriser l’homme de 58 ans à l’aide d’un pistolet à impulsion électrique et de balles de caoutchouc, les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont ouvert le feu en direction de la victime. Les policiers soutiennent que M. Coriolan tenait dans ses mains un couteau et un tournevis et qu’ils l’ont finalement désarmé en utilisant un bâton télescopique.
Pierre Coriolan est décédé à l’hôpital après avoir été atteint de trois projectiles. Selon le coroner, son décès met en lumière les «conséquences d’un manque de formation des policiers».
Manque de formation «inacceptable»
Selon deux experts en intervention de la force entendus lors des audiences, l’opération policière, qui a duré moins de cinq minutes, aurait eu avantage à se faire plus lentement. En effet, les policiers auraient dû basculer en «mode défensif une fois qu’ils ont constaté qu’il [Pierre Coriolan] était assis dans son appartement et semblait dans son monde» puisqu’il n’y avait plus aucune urgence d’agir à ce moment.
Toutefois, l’intervention «discutable» a été menée en fonction de la formation qu’avaient les policiers au moment des événements. En effet, les policiers impliqués n’avaient pas eu les plus récentes formations en intervention auprès des personnes en crise. «Cette intervention ne répond pas à ce quoi on s’attend des policiers formés au cours des dernières années», indique le coroner, qui qualifie «d’inacceptable» ce manque de formation.
Pour Me Luc Malouin, cela démontre la nécessité de mettre à jour régulièrement et de bonifier la formation des policiers pour faire face à ce genre de situation, surtout considérant que les agents du SPVM répondent annuellement à 50 000 appels pour des personnes en crise, précise-t-il dans son rapport.
«Plus encore, les policiers doivent être le mieux outillés possible pour faire face à la réalité de la société actuelle. Une bonne formation de base à laquelle sont joints un maintien et une mise à jour des compétences dans le cadre d’une formation continue et obligatoire est essentielle. Finalement, comme pour tout apprentissage, les policiers doivent régulièrement mettre en pratique les formations reçues pour être toujours au sommet de leurs capacités», affirme-t-il.
Au cours des dernières années, différents coroners ont formulé des recommandations en ce sens. Me Malouin lui-même, dans son rapport d’enquête publique dans le dossier d’Alain Magloire, publié en 2016, avait formulé de telles recommandations.
La famille de Pierre Coriolan a salué le rapport du coroner par voie de communiqué diffusé par leur cabinet d’avocats. Les proches se disent «satisfaits» des conclusions. Rappelons que les deux sœurs de M. Coriolan poursuivent la Ville de Montréal pour le décès de leur frère. Le procès se tiendra au Palais de justice de Montréal du 12 au 20 mai prochain.
Les nouvelles formations offertes aux policiers
Au cours des dernières années, l’approche des policiers auprès des personnes dont l’état mental est perturbé a grandement évolué. En effet, en 2019, l’École nationale de police du Québec (ENPQ) a travaillé et apporté des précisions au modèle national en emploi de la force, qui présente la communication comme un élément important. «La compétence Communication a été implantée dans l’ensemble des formations de l’ENPQ», précise la porte-parole Andrée Doré.
L’ENPQ a aussi mis sur pied un nouveau cours en désescalade qui sera obligatoire pour tous les policiers. Environ 300 policiers ont été formés à ce jour et on prévoit finir de former l’ensemble des policiers dans un délai maximal de cinq ans. Une entente de diffusion est en cours de finalisation pour rendre disponible à l’ensemble des policiers québécois la formation REMP (Réponse en état mental perturbé), précise Mme Doré.
Cependant, rien n’est encore prévu pour une requalification ou un maintien des compétences acquises lors de cette formation.
Le SPVM n’est pas en reste quant aux nouvelles formations offertes aux policiers. L’organisation a elle aussi mis sur pied une nouvelle formation qui englobe la désescalade et l’endiguement (contrôle de foule), et qui s’adresse à l’ensemble des patrouilleurs et des superviseurs. «L’objectif est d’orienter nos interventions de manière à résoudre pacifiquement les situations tout en assurant la sécurité de tous», indique la chargée de communication Anik de Repentigny. L’organisation vise à former l’ensemble des policiers et superviseurs d’ici trois à quatre ans.
Cependant, comme dans le cas de la Sûreté du Québec, aucune requalification ni aucun maintien des compétences ne sont encore prévus. La majorité des policiers au Québec font actuellement 30 heures de formation annuelle pour leur requalification dans diverses disciplines, ce qui est insuffisant, selon le coroner Luc Malouin.