Faute de temps et en raison d’un manque de confiance dans le système de justice, la plupart des jeunes Arabes ne portent pas plainte contre les autorités policières lorsqu’ils ont été victimes de profilage. Tout comme les Noirs, ils font toutefois partie des catégories de personnes qui se font le plus interpeller et questionner abusivement par les policiers.
Itzak (non fictif), 24 ans, livreur de pizza à Montréal, en sait quelque chose. «Une fois, je me suis fait interpeller par une policière qui m’a dit que je n’avais pas ma ceinture, alors que je l’avais bien. Elle m’a donné un ticket de plus de 300$ et trois points d’inaptitude», se souvient le jeune d’origine maghrébine, rencontré par Métro dans un café à l’intersection de Jean-Talon et de la 19e Avenue.
Pour lui, la procédure de plainte demande du temps et de l’énergie, ce qu’il n’a pas. Pire encore, il dit avoir des doutes face au système judiciaire.
Je ne crois pas que je vais gagner et je n’ai pas le temps pour cela. Cela devient une habitude pour moi.
Itzak, livreur de pizza
La thèse du manque de confiance est évoquée également par Abdelhaq Sari, d’origine marocaine, qui est conseiller de Ville du district de Marie-Clarac, dans l’arrondissement de Montréal-Nord, et aussi vice-président de la Commission de la sécurité à la Ville de Montréal.
«Moi, ce que j’entends dire autour de moi, c’est que le fait de porter plainte, ça ne va rien donner», déclare Abdelhaq Sari, en entrevue avec Métro.
Aucune plainte enregistrée par le CRARR
Le Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR), un organisme de défense des droits des victimes de profilage, dit lui aussi constater la réticence de la communauté arabe à se défendre devant des instances comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).
«Exactement oui», répond tout de go le directeur général du CRARR, Fo Niémi, lorsqu’on lui pose la question à savoir s’il a des données en ce sens. Et les chiffres dont il dispose sont plutôt faibles.
«Je dirai que d’après nos expériences, il n’y a pas de plaintes des jeunes de la communauté arabo-musulmane. Dans nos données, nous n’avons aucun jeune arabo-musulman en bas de 25 ans qui a porté plainte pour des questions de profilage racial», affirme-t-il sans détour.
Pourtant, les jeunes arabes de 15 à 24 ans ont en moyenne quatre fois plus de chances que les jeunes blancs du même âge d’être l’objet d’une interpellation, selon le Rapport Armony-Hassaoui-Mulone sur les interpellations policières à Montréal, paru en 2019.
Au prorata, les personnes noires et arabes sont nettement surinterpellées – soit de 66% et de 93% respectivement – par rapport aux personnes non racisées. Pour les incivilités – contraventions aux règlements municipaux -, ces groupes sont également surinterpellés de 137% et de 180% respectivement.
Fo Niémi constate toutefois qu’au niveau de la discrimination en emploi, quelques plaintes sont logées à son organisme. Mais règle générale, ce sont les parents arabo-musulmans qui accompagnent les jeunes dans la démarche de contestation. Il évoque justement le cas du maire de l’arrondissement d’Anjou, Luis Miranda, qui avait, le 4 octobre, en pleine assemblée de conseil, rabroué le jeune Hocine Ouendi, 15 ans, d’origine arabe. Malgré les excuses du maire, les parents du jeune l’ont accompagné au CRARR pour formuler une plainte auprès de la Commission des droits de la personne.
Culture d’origine
Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette tendance à ne pas se plaindre chez la communauté arabo-musulmane, selon le CRARR, comme la présence récente de cette communauté sur le territoire ou encore le fait que dans leur pays d’origine, les gens n’avaient pas tendance à attaquer en justice les autorités établies pour des fautes ou torts qui leur étaient causés.
Mon analyse, c’est que la communauté noire a une présence plus imposante en nombre et s’organise. Elle dispose aussi d’organisations de défense des droits avec plus d’expérience dans ce domaine.
Frédéric Avance, sociologue
Le conseiller Abdelhaq Sari croit qu’il faudrait plus de campagnes d’informations autour de ces questions auprès des communautés maghrébines. «Il faut informer la population par rapport à leur droit et comment ils peuvent porter plainte», conclut-il.