Les invités du maire de Montréal, Denis Coderre, n’ont plus à s’enregistrer auprès des agents de sécurité de l’hôtel de ville depuis plus de trois ans, a appris Métro. Un «manque de transparence» dénoncé par des experts, que le cabinet du maire peine à justifier.
Une note, qui jusque-là n’avait jamais été rendue publique et dont Métro a obtenu copie, a été envoyée aux agents de sécurité de l’hôtel de ville le 12 mars 2014, soit près de quatre mois après l’élection de Denis Coderre à la mairie de Montréal.
On peut y lire que lorsqu’«un invité du maire ou du chef de cabinet se présentera à un des postes de garde et qu’il mentionne» un tel entretien, l’agent concerné doit contacter une des trois personnes désignées par cette lettre, dont Denis Dolbec, le directeur du cabinet de M. Coderre.
Contrairement aux habitudes de ces gardes, qui ont pour consigne d’enregistrer le nom de toute personne ayant un rendez-vous au sein de l’édifice municipal, ces visiteurs ne sont donc pas inscrits dans les registres.
Selon les informations obtenues par Métro, cette pratique est toujours en vigueur et aurait permis à des entrepreneurs de la construction, des hommes d’affaires, des lobbyistes et des représentants d’une firme travaillant dans l’événementiel de franchir les portes de l’hôtel de ville ces dernières années sans voir leur nom être enregistré.
Un agent a également confié que des visiteurs peuvent pénétrer dans l’hôtel de ville, par le stationnement intérieur, en étant conduits par les chauffeurs des principaux dirigeants de la Ville, sans être soumis au moindre contrôle.
Pratique autorisée, mais «problématique»
«Les agents sont troublés, révèle Hans Marotte, avocat et conseiller syndical des cols bleus de Montréal. Certains n’aiment pas [Denis] Coderre, mais ils m’ont dit qu’ils seraient les premiers à le protéger s’il se faisait tirer dessus. Comment le protéger si personne ne sait qui il rencontre?»
Rappelant les années troubles à l’hôtel de ville, ponctuées notamment par la Commission Charbonneau, Me Marotte affirmé avoir «un problème». «Dire de ne laisser aucune trace du passage de certaines personnes, alors que leur travail, c’est justement de contrôler et de noter tous les passages, c’est préoccupant», ajoute-t-il.
Bien que cette procédure ne soit pas interdite, ces «modifications» du contrôle d’accès, tel que cela est indiqué dans ce message, «posent un problème sur le plan de la transparence», souligne le politologue Jean-Marc Piotte. «C’est problématique. Ça ouvre la porte à des discussions faites derrière des portes closes, cachées du public», reprend l’expert en éthique politique, qui aimerait que le maire de Montréal publie son agenda quotidien, comme le font les premiers ministres du Canada et du Québec.
Une autre experte y voit aussi une volonté de «maîtriser» la communication et, ainsi, de limiter les fuites dans les médias. «Mais pour le citoyen, plus de maîtrise signifie aussi que l’accès à l’information est limité», indique Caroline Patsias, professeure à l’UQÀM, appuyée par une de ses collègues. «Cette administration avait pris des engagements de transparence, rappelle la professeure Danielle Pilette, spécialiste en gestion municipale. Les gens ont le droit de savoir l’influence qui s’exerce dans la prise de décision des élus.»
Le cabinet du maire se justifie
Qu’en pense quant à lui Denis Coderre? Pourquoi a-t-il mis en place cette mesure? Questionné à ce sujet mercredi, à la fin d’un point de presse consacré à ses engagements de campagne, l’intéressé n’a pas voulu s’attarder sur ce sujet. «Je suis en retard, je ne sais pas», a-t-il répondu avant d’ajouter qu’«[il allait] vérifier».
Cette note «a été mise en place afin d’assurer la sécurité du maire et du chef de cabinet du maire, tout en maintenant la confidentialité de leur charge», a finalement écrit en fin de journée Catherine Maurice, la directrice des communication du cabinet du maire.
«Quel est le problème de sécurité? questionne Valérie Plante, chef de Projet Montréal et candidate à la mairie de Montréal. Le maire dispose déjà d’une équipe de sécurité, je ne vois pas ce qui l’empêche de faire enregistrer ses visiteurs.»
«Une question se pose: qu’est-ce que Denis Coderre a à cacher? Cette consigne va à l’encontre des règles d’éthique et de transparence.» – Valérie Plante, chef de Projet Montréal
Alors que Catherine Maurice précise que «la Ville prend des décisions uniquement en fonction de l’intérêt des citoyens et des enjeux propres à Montréal», sans apporter de détails sur les origines d’une telle consigne malgré les nombreuses questions de Métro, Valérie Plante déplore elle aussi «le manque de transparence» de son adversaire politique.
«Il refuse de dévoiler les chiffres de la Formule E, il y a des zones grises sur les dépenses du 375e anniversaire et il y a eu l’histoire du chèque de 25 000$, qu’il avait oublié avant de s’en souvenir, énumère la conseillère de Ville-Marie. En arrivant à la mairie, il a parlé du “filtre Coderre”, mais on a encore l’impression qu’il se sent au-dessus des bonnes pratiques en matière de transparence.»
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