Montréal

L’ange et le scout

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Station de métro Laurier, direction Lionel-Groulx. C’est vendredi, il est 9 h 20.

Le métro démarre. Nous sommes plusieurs debout, en équilibre sur la fatigue de la semaine qui s’achève.
Un couple dans la quarantaine se trouve à mes côtés. Elle, elle a déployé son journal et se concentre sur un article. En fait, elle essaie tant bien que mal de traverser les lignes qui le composent. Lui, il se tient derrière elle, tout contre son dos. Il la dépasse d’une bonne tête, ce qui lui permet de «lire» par-dessus son épaule.

En fait, il ne cesse pas de parler. Si encore c’était pour réagir à ce qu’on dit sur Obama, qui semble faire l’objet du papier. Ou si c’était pour questionner l’état du système de santé étasunien, la situation économique, ou évoquer avec empathie les victimes de Sandy.

«Jérôme vient souper ce soir, hein? dit-il avec enthousiasme.

– Mmmm, Mmmm», acquiesce la femme.

Le regard de cette dernière reste obstinément collé au texte. Il reprend aussitôt, avec l’enthousiasme d’un scout qui vient de réussir un nœud compliqué : «On devrait aller au cinéma demain!»

Patiente, elle le gratifie d’une réponse angélique : «Oui, oui.»

Puis elle retourne à Barack.

«Pis dimanche? Qu’est-ce qui te tenterait?»

J’aurais envie de répondre à sa place que, dimanche, elle aimerait bien finir de lire son article!

Les portent s’ouvrent; des passagers entrent et sortent, obligeant la lectrice persévérante à refermer momentanément son quotidien, puis une fois le calme revenu, elle revient à ce qui attend le président et reprend obstinément sa lecture là où elle l’avait laissée, c’est-à-dire pas très loin.

Le joyeux louveteau repart aussitôt : «Hey! On devrait aller à NY bientôt! Ça fait longtemps… Dans le temps de Noël?»

C’est alors que l’ange referme les ailes du journal. On dirait qu’elle aimerait justement se retrouver au sommet d’un sapin pour pouvoir lire en paix.

Mais elle se retourne plutôt vers son optimiste cavalier et replace tendrement sa cravate mal nouée.

Articles récents du même sujet

Exit mobile version