Jusqu’au 17 février, la Ville de Montréal cherche un commissaire des nuits montréalaises pour élaborer une politique du bruit et de la vie économique nocturne. En d’autres termes, une mairie de la nuit.
Selon la description du poste et quelques articles sur le sujet, il semble qu’une politique sur le bruit sera prioritaire à l’agenda de ce futur responsable.
Et le bruit, à Montréal, on en parle.
Trop de bruit au Divan Orange, un antre important de la scène musicale qui a fermé ses portes il y a deux ans rue Saint-Laurent. Trop de bruit dans la banlieue cossue de Saint-Lambert pendant le festival Osheaga. Trop de bruit pendant les festivals du centre-ville et les événements éphémères de divers quartiers. Tout irait mieux si on se taisait en tout temps, en gros, même si au contraire, c’est notre bruit culturel qui fait notre richesse.
Ce qu’on sait moins, selon Aïsha Vertus, DJ montréalaise internationale et organisatrice communautaire, c’est que souvent, les plaintes des «voisins d’en haut» sont plutôt le fait de propriétaires qui veulent que les salles accueillant des événements culturels ferment pour récupérer l’ensemble des bâtisses et les transformer en condos.
C’est par exemple ce qui se passera avec l’édifice abritant les Katacombes, une salle située à l’angle de Saint-Laurent et d’Ontario. La direction de l’endroit, qui accueillait une myriade de groupes de la scène underground montréalaise et internationale, a récemment mis la clé sous la porte.
Montréal la nuit
L’embourgeoisement contribuerait-il à l’appauvrissement de notre vie nocturne? Pour Aïsha, c’est clair que oui.
Elle fait le lien direct entre la poussée de condos partout et la fermeture de certaines salles. Elle me raconte qu’une communauté de près de 5000 personnes gravite dans des salles underground dispersées dans des coins isolés de la ville. «Si on avait plus d’espace, des endroits sécuritaires, ouverts, accessibles, on n’aurait pas besoin de se retrouver dans ce genre d’endroits.»
La DJ, qui gagne mieux sa vie ailleurs que dans la ville qui l’a vue naître, affirme qu’il faudrait, par exemple, sécuriser les endroits du nightlife montréalais, geler les prix des loyers, mettre sur pied un système financier plus avantageux pour les travailleurs de la nuit, pour la plupart autonomes.
Elle m’explique qu’à Bruxelles toutes les salles qui présentent des spectacles ont un sonomètre, un instrument qui permet de mesurer les décibels, disponible à la suite de l’arrêté «Son amplifié» mis en place en 2018 dans la capitale belge sans discriminer la création artistique.
Aïsha va plus loin: «Il nous faut des mesures qui protègent les travailleurs de la nuit, surtout les femmes», dit-elle. Elle me confie que plusieurs femmes se font agresser et que le milieu nocturne s’organise pour discuter de ces cas ou d’autres conflits, mais que rien d’officiel n’existe, parce que ce que se passe la nuit… reste dans la nuit.
Au-delà du bruit
Une charte de la vie nocturne a été énoncée en 2017 dans le programme de Projet Montréal, mais n’a toujours pas vu le jour. MTL 24/24, un organisme sans but lucratif dont le mandat est de valoriser la culture nocturne et de favoriser le développement de l’économie de nuit montréalaise, presse l’administration Plante d’en adopter une.
La recherche d’un(e) commissaire nocturne est peut-être un premier pas vers l’adoption d’une charte, mais celle-ci ne doit pas être axée uniquement sur le bruit.
Montréal est la capitale canadienne culturelle par excellence (oui, plus que Toronto). Nos festivals, nos groupes-cultes, nos célèbres salles dont plusieurs, mythiques, ont dû fermer au cours des dernières années, font notre réputation.
Évidemment, le fait d’habiter au-dessus d’un bar ou dans le Quartier des spectacles expose au bruit. Pourquoi notre scène culturelle, qui fait notre fierté et notre réputation, devrait-elle s’adapter aux personnes qui n’aiment pas le bruit plutôt que l’inverse?
Il y a les quartiers plus excentrés, loin des grandes artères et du centre-ville, si on ne veut entendre aucune vie après 20h. Mieux, il y a les banlieues.