La crise sanitaire du coronavirus, qui malmène l’économie, pourrait exacerber la crise du logement et contribuer à la spéculation immobilière à Montréal, estiment des experts.
Alors que de nombreux commerces n’ont d’autre choix que de fermer leurs portes et que les citoyens sont appelés à faire de l’auto-isolement, la confiance des entreprises canadiennes est à son plus bas depuis la crise financière de 2008. La possibilité d’une récession économique au pays devient d’ailleurs de plus en plus probable.
«Ce que nous avons remarqué dans les deux dernières récessions économiques – et ça pourrait être le cas de nouveau maintenant – c’est que les familles deviennent inquiètes avec leur travail et leur situation financière. Elles se demandent comment elles vont passer au travers de cette situation», évoque le directeur de recherche chez l’entreprise immobilière Morguard, Keith Reading.
Dans un tel contexte, plusieurs ménages locataires qui envisageaient d’acheter une propriété «retardent cette décision». C’est particulièrement le cas pour des familles, souligne M. Reading.
«Exacerber la crise du logement»
Ainsi, la demande sur le marché locatif montréalais pourrait croître dans les prochains mois, si la crise du coronavirus persiste. Or, le taux d’inoccupation des logements est déjà d’à peine 1,5% dans le Grand Montréal, soit à son taux le plus bas depuis 15 ans.
«Ça pourrait exacerber la crise du logement parce que les gens ne veulent pas déménager. Les gens ne veulent pas prendre de grosses décisions. Donc, dans un marché où on manque déjà d’appartements, [la rareté de logements] va continuer», ajoute M. Reading.
Cette situation «pourrait contribuer» à la spéculation immobilière, reconnaît l’expert. Le marché locatif devrait en effet représenter «une valeur sûre» pour les investisseurs dans les mois à venir, car la demande demeurera forte malgré la crise sanitaire en cours.
Le directeur du service économique à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation au Québec (APCHQ), Paul Cardinal, ne craint d’ailleurs pas que les prix des propriétés connaissent une baisse notable de leur valeur en raison de l’incertitude économique, à moins que la crise sanitaire actuelle «dure beaucoup plus longtemps qu’on ne l’imagine».
«Dans une perspective de moyen et de long terme, l’immobilier a toujours été une bonne valeur refuge pour les investisseurs», ajoute M. Cardinal.
La situation actuelle inquiète le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), qui craint que les spéculateurs immobiliers profitent de cette crise sanitaire pour faire des transactions lucratives.
«En situation de crise, les investisseurs vont vers des solutions refuges et ce serait déplorable que ça vienne empirer la situation actuelle.» -Philippe Girouard, porte-parole du RCLALQ
Moins de chantiers?
D’autre part, le nombre de chantiers sur le marché locatif pourrait baisser dans les prochaines semaines alors que de nombreux travailleurs de la construction craignent pour leur sécurité en raison de la propagation du nouveau coronavirus. Cela pourrait exacerber la crise du logement en réduisant l’offre.
«Pour ce qui est des chantiers de construction de nouveaux immeubles, on essaie le plus que possible de garder les chantiers ouverts. On informe nos membres des mesures de sécurité à prendre et on essaie de les convaincre de prendre les mesures les plus sécuritaires possibles pour ne pas interrompre les chantiers», assure Paul Cardinal.
Ce dernier constate toutefois que des entrepreneurs n’ont eu d’autres choix récemment que de licencier certains de leurs employés parce qu’une partie de leurs contrats «ont été annulés ou reportés».
Mouvements migratoires
Cette semaine, le gouvernement canadien a fermé la frontière canadienne avec les États-Unis en plus d’inciter les Canadiens à éviter tout voyage non-essentiel à l’étranger. Le gouvernement Legault demande par ailleurs aux Québécois de limiter leurs déplacements d’une région à l’autre de la province.
«Si, à moyen terme, les mouvements migratoires diminuent, ça pourrait réduire la demande [pour des appartements]. Mais il ne faut pas penser que ça va augmenter les taux d’inoccupation des logements locatifs», prévient M. Cardinal. Selon lui, cette situation aura un impact marginal sur le marché locatif.
«Les besoins [en logements locatifs] vont être encore très élevés dans les prochaines années.» -Paul Cardinal, directeur du service économique à l’APCHQ