Alors qu’un regroupement de propriétaires immobiliers fustige la Commission des droits de la personne (CDPDJ) pour son «manque de rigueur» et sa prise de position «partisane» dans son plus récent guide sur la discrimination au logement, des organismes de défense des locataires, eux, applaudissent l’initiative, et demandent plus d’actions similaires du gouvernement.
«Ce rapport-là laisse sous entendre que les abus viennent uniquement de propriétaires à locataires. En réalité, nos membres sont aussi victimes d’abus de locataires qui ne paient pas, ou qui ont des mauvais comportements», dénonce le porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers (CORPIQ), Hans Brouillette.
Dans son guide pratique, la Commission appelle les propriétaires à faire preuve d’objectivité dans la sélection des locataires. Elle écrit aussi que la discrimination au logement «peut être directe ou indirecte, intentionnelle ou non, et souvent causée par des préjugés qui peuvent même être inconscients».
Débat sur les renseignements personnels
Selon la Commission, lors de la visite d’un logement, un propriétaire ne peut demander «que les renseignements nécessaires à la location afin de respecter le droit à la vie privée». Le statut d’emploi, le salaire et le numéro d’assurance sociale (NAS) n’ont donc pas nécessairement à être fournis par le locataire, plaide le rapport.
Pour Hans Brouillette, ce constat «fait carrément fi des jugements rendus par les tribunaux dans les dernières années». Il cite une décision de la Cour du Québec datant de juillet 2018, et affirme que ces renseignements sont «nécessaires» pour bien évaluer une candidature.
«On ne peut pas faire comme si les décisions n’existaient pas. La Commission arrive avec des énoncés basés sur des opinions personnelles. Ce n’est ni basé sur le droit, ni la jurisprudence. C’est de l’ingérence.» -Hans Brouillette, de la CORPIQ
Le président de la CDPDQ, Philippe-André Tessier, refuse quant à lui ces allégations sur toute la ligne. «On ne s’ingère dans rien d’autre que ce qu’on a comme mandat de faire dans la Charte des droits et libertés, c’est-à-dire éviter autant que faire se peut des situations discriminatoires», indique-t-il.
En réalité, l’enjeu des données personnelles est beaucoup plus subtil, fait-il valoir. «Demander systématiquement des enquêtes de crédit, ça a des effets contraires à la charte. On ne dit pas qu’il faut les interdire. On dit juste qu’il y a d’autres moyens de vérifier la capacité de payer, comme les références d’anciens propriétaires», dit M. Tessier.
«Le problème, c’est qu’une enquête de crédit peut révéler un paquet d’autres affaires qui n’ont rien à avoir avec la capacité de payer. Ce qu’on dit aux propriétaires, c’est simplement de faire attention.» -Philippe-André Tessier, de la CDPDQ
Un geste «salué» par le FRAPRU
Appelée à réagir, l’organisatrice communautaire au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, offre une toute autre version des faits. «On salue la mise en place de ce guide. Ça fait des années qu’on dit que le gouvernement doit être plus proactif en matière d’information pour contrer la discrimination au logement. C’est illégal au Québec», explique-t-elle.
«Ce n’est pas normal qu’en 2020, il y ait encore des gens qui se voient refuser un toit parce qu’ils ont des enfants. On a des locataires qui se font quasiment demander leur arbre généalogique. Ça n’a aucun sens.» -Véronique Laflamme, du FRAPRU
Mme Laflamme craint qu’au sortir de la crise, la discrimination s’accentue, alors que milliers de personnes rechercheront simultanément un logis. «Les citoyens qui sont sur l’assurance-emploi, par exemple, vont risquer d’être discriminés en raison de leur condition sociale», prévient-elle.
En ce qui concerne plus spécifiquement les renseignements personnels, le FRAPRU dit trouver «nécessaires» les rappels fait par la CDPDJ. «Il y a une limite à ce qu’on peut demander. Les locataires ont encore trop de pression sur leurs épaules», lâche-t-elle.