Des organismes montréalais s’inquiètent que la transmission potentielle de la COVID-19 dans la population en situation d’itinérance soit en quelque sorte «sous-estimée» par les autorités de santé publique. Depuis le 30 mars, celles-ci rapportent neuf cas positifs dans la métropole, sur un total de 366 tests de dépistage, dont certains sont toutefois toujours en attente de résultats.
«On ne dépiste pas assez. Pourquoi ne pas nous utiliser comme cobaye? Faites un test de masse pour connaître la situation. Le problème en ce moment, c’est qu’on n’a pas de ligne de base dans les données», explique à Métro le président de la Mission Old Brewery, Matthew Pearce.
Il appelle les pouvoirs publics à s’inspirer de Boston et de Toronto. Les deux municipalités ont effectué des séances de dépistage dans des refuges. Dans la métropole canadienne, plus de 100 personnes itinérantes ont ainsi été déclarées positives, alors que dans la ville américaine, 36% des clients du refuge avaient contracté la COVID-19, dont plusieurs étaient asymptomatiques.
«S’il n’y a aucune éclosion, tant mieux. On se calme et on continue. Mais si le nombre est important, alors on doit savoir pour mieux protéger notre clientèle. Les personnes itinérantes sont à risque et ils représentent un risque.» -Matthew Pearce, de la Mission Old Brewery.
Un changement à entamer?
Chez Mission Bon Accueil, le président Sam Watts abonde relativement dans le même sens. «Depuis le début, la priorité de la santé publique a été de dépister les gens qui ont des symptômes ou qui reviennent de voyage. Et on comprend. Mais c’est peut-être le temps de changer ça», dit-il. Avec la réouverture graduelle de l’économie et de la société, M. Watts craint que les personnes itinérantes et vulnérables soient «beaucoup plus à risque».
«Il va falloir faire plus de dépistage à proximité et dans nos ressources. C’est peut-être le temps de réévaluer les protocoles, de prendre au moins un refuge, et de faire des tests.» -Sam Watts, de Mission Bon Accueil
Pour Marina Boulos-Winton, la directrice de l’organisme Chez Doris, les statistiques de la santé publique représentent probablement la pointe de l’iceberg dans la population itinérante. «C’est sous-estimé. Ils nous donnent les statistiques de personnes qui passent par l’hôtel de confinement. Or, il se peut fortement qu’une personne vulnérable ou itinérante se rende directement dans un centre hospitalier», explique-t-elle.
«On se demande si les informations qu’on nous donne sont exactes. C’est très dur de poser des questions de vive voix. Il faut souvent passer par le courriel, et on nous répond que partiellement.» -Marina Boulos-Winton, de Chez Doris
Au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), la directrice Annie Savage estime que la santé publique «a largement sous-estimé le potentiel de propagation en itinérance», surtout au début de la crise. «Tout le monde l’a un peu sous-estimé, je pense. Il n’y avait pas de plan clair», dit-elle. Si aujourd’hui, la réalité des itinérants est mieux comprise, il reste encore du travail à faire.
«Ce n’est pas écrit dans le front des personnes itinérantes qu’elles le sont. Souvent, les personnes refusent carrément de s’identifier comme tel. Ça fait en sorte qu’il reste encore des trous dans la trajectoire», illustre Mme Savage.
Pas de dépistage systématique en vue, dit le CIUSSS
Jointe par Métro, la directrice aux partenariats du CIUSSS Centre-Sud, Julie Grenier, affirme que la santé publique «ne recommande pas pour l’instant de procéder à du dépistage systématique», incluant les personnes itinérantes.
«On comprend très bien que tout le monde est sur le qui-vive. Cela dit, ne nous mettons pas la tête dans le sable. Le bilan est positif, et on va s’ajuster au besoin» -Julie Grenier, du CIUSSS Centre-Sud
«S’il y a suspicion d’éclosion dans un milieu, on dépêchera du dépistage mobile on confinera l’endroit en question. Actuellement, on n’en est pas là. On n’a aucune éclosion dans nos refuges ou nos milieux de vie», assure la porte-parole.
Celle-ci ajoute que le dépistage ne doit pas être considéré comme un facteur de protection. «Même si on allait dépister tout le monde dans un refuge, la situation ne serait bonne que pour quelques heures. Le virus évolue très vite et il semble là pour rester», conclut Mme Grenier.