OTTAWA — Un bras de fer s’est engagé à Ottawa après que les libéraux eurent bloqué la nomination d’une élue conservatrice antiavortement à la présidence du comité permanent de la Condition féminine.
La réunion du comité a duré à peine deux petites minutes, mardi — le temps que la vice-présidente, la libérale Pam Damoff, mette la table en prévision du coup de théâtre qui allait se jouer.
«Les députés libéraux ne peuvent appuyer la décision du chef de l’opposition de mettre de l’avant le nom de quelqu’un comme Rachael Harder. (…) Nous devons quitter la réunion», a-t-elle déclaré.
Le mot d’ordre était donné, et les libéraux ont immédiatement bondi de leur chaise, quittant la sale en bloc. Majoritaires au comité, ils auraient pu voter contre la nomination de la jeune élue albertaine, mais ils ont plutôt opté pour cette stratégie.
Ce départ fracassant, qui pourrait paralyser les travaux du comité, place le chef conservateur Andrew Scheer sur la sellette. Les libéraux le mettent au défi de choisir un élu ayant des positions moins «radicales» en matière de droits reproductifs des femmes.
Le nouveau leader des troupes conservatrices, lui-même opposé à l’avortement, a suggéré mardi qu’il n’avait pas l’intention de céder et réitéré son appui à l’endroit de Mme Harder, qu’il a nommée en juillet dernier porte-parole du cabinet fantôme en matière de condition féminine.
«Je suis très, très fier de Mme Harder», a insisté en mêlée de presse Andrew Scheer au sujet de la députée «travaillante, dynamique, jeune, une femme qui a été élue démocratiquement» avec qui il partage la même vision contre l’avortement.
Il a relevé une contradiction entre l’intransigeance libérale en comité et le fait que Justin Trudeau ait nommé à des postes importants deux membres de son caucus contre l’avortement — Lawrence MacAulay comme ministre et John MacKay comme secrétaire parlementaire.
La députée Lisa Raitt a soulevé le même point. «Quand les libéraux disent que Rachael Harder ne peut présider ce comité, ils n’ont pas confiance qu’elle peut mettre ses convictions personnelles de côté. Ils ne lui donnent pas le bénéfice du doute», a-t-elle regretté.
Même le député libéral John MacKay a émis des doutes sur la pertinence de la logique de son parti.
«Je ne veux pas commenter spécifiquement ce qui s’est passé au comité, mais je pense qu’on s’aventure sur un chemin dangereux si l’on se base sur les opinions et les convictions d’une personne pour déterminer si elle est qualifiée ou pas pour présider un comité», a-t-il dit.
Le premier ministre Justin Trudeau a entièrement endossé le coup d’éclat des députés libéraux de son caucus.
«La décision prise par les députés libéraux, ça a été leur décision, mais je peux dire que je l’appuie entièrement», a-t-il dit en marge d’une annonce, mardi après-midi.
«Je pense que les Canadiens peuvent comprendre que dans un comité chargé de défendre l’intérêt des femmes, on voudrait que la présidente soit quelqu’un qui défende réellement les droits des femmes», a offert Justin Trudeau.
Les libéraux semblent vouloir faire leurs choux gras de cette affaire.
L’affaire Harder a rebondi en Chambre, où, pour la deuxième fois en l’espace d’une semaine, les libéraux ont profité de la période des questions pour s’attaquer à Andrew Scheer, le dépeignant comme un chef rétrograde sur qui on ne peut compter pour défendre les droits des femmes.
La ministre de la Condition féminine, Maryam Monsef, a nié que les troupes libérales exploitaient les enjeux liés aux droits des femmes à des fins partisanes.
«Notre travail est de parler en leur nom, et lorsque nous dénonçons ceux qui rabaissent les femmes, nous parlons pour toutes les femmes et les filles qui ont entendu cette rhétorique», a-t-elle fait valoir en point de presse.
La députée conservatrice visée par la manoeuvre libérale a accusé ses adversaires d’avoir «bafoué» la démocratie en refusant de mettre aux voix la motion proposant sa nomination à la présidence du comité de la condition féminine.
«Les enjeux qui touchent les femmes à travers le pays me tiennent à coeur, et je veux m’assurer que nous travaillons fort pour elles. Je suis prête à me mettre au travail», a fait valoir Mme Harder qui, malgré l’insistance des journalistes, a refusé de dire si elle antiavortement.
En juillet dernier, peu après sa désignation comme porte-parole en matière de condition féminine, le site iPolitics a révélé qu’elle avait accordé 12 000 $ de subventions fédérales à deux cliniques antiavortement de sa circonscription.
On ignore combien de temps durera l’impasse au comité, les députés ne pouvant siéger avec un siège de président vide.
La députée néo-démocrate Sheila Malcolmson, qui avait tiré la sonnette d’alarme en premier, pense que d’autres femmes issues des rangs conservateurs pourraient prendre la direction du comité.
«Les conservateurs, s’ils veulent que le comité poursuive ses travaux, ils devront désigner quelqu’un qui a une vision moins radicale que Rachael Harder», a-t-elle tranché.