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La marijuana: un défi pour les employeurs

Joe Mahoney / La Presse Canadienne

Cassandra Szklarski - La Presse Canadienne

TORONTO — Certains employeurs craignent que la traditionnelle «pause santé» prenne parfois un tout autre sens lorsque la marijuana sera légalisée au Canada.

Il sera évidemment interdit de «fumer un joint» au travail, mais rien n’empêchera les employés de fumer avant leur quart, pendant une pause repas ou une pause santé — voire de savourer discrètement un muffin au pot dans la cantine de l’entreprise.

Les services des ressources humaines commencent déjà à s’inquiéter des états seconds au travail — voire des accidents —, d’une baisse de la productivité et d’une hausse de l’absentéisme. Même si les réglementations provinciales encadrent l’usage de la marijuana dans la vie quotidienne, certains employeurs se demandent comment on pourra mesurer les «facultés affaiblies» par le pot, et à quelles conditions un patron pourra exiger un test de dépistage.

De gros employeurs se demandent d’ailleurs déjà qui se rendra le premier devant les tribunaux pour tester les limites des différents cadres réglementaires provinciaux et de la légalité de mesures disciplinaires imposées à un employé un peu trop «gelé» au goût du patron.

En l’absence d’une définition claire et précise de la notion de «capacités affaiblies», plusieurs directions des ressources humaines se demandent comment adapter les politiques de leur entreprise à cette légalisation, surtout dans des milieux de travail qui ne sont pas particulièrement dangereux. Il sera ainsi difficile de déterminer précisément la limite d’intoxication à ne pas franchir, de composer avec une éventuelle consommation avant le travail, ou de mesurer une prétendue baisse de performance au boulot.

Scott Allinson, de l’Association des professionnels en ressources humaines, rappelle que de telles politiques existent déjà en matière d’alcool — pour les pilotes d’avion ou les chauffeurs de camion, par exemple. Mais qu’en sera-t-il pour les emplois qui comportent moins de risques?

La difficulté de mesurer l’incapacité

Il n’existe à l’heure actuelle aucun test fiable pour mesurer les facultés affaiblies par la marijuana. Une analyse sanguine peut certes mesurer le taux de THC, ingrédient actif du cannabis, mais ce taux ne mesure pas l’incapacité, qui varie selon les individus. Ainsi en est-il de l’alcootest, qui ne mesure pas l’ivresse.

Par ailleurs, le THC peut demeurer présent dans le système sanguin de 24 à 48 heures après la consommation. Et le test sanguin peut se révéler positif si l’on a inhalé de la fumée secondaire dans une pièce fermée, selon une étude récente de l’Université de Calgary.

Le Syndicat canadien de la fonction publique craint que les employeurs utilisent la légalisation de la marijuana pour pousser les limites de la loi qui balise actuellement de façon très serrée le dépistage aléatoire de drogues en milieu de travail. Le syndicat — qui représente notamment des agents de bord, des travailleuses de garderies et des ambulanciers — soutient qu’il existe des mesures plus constructives pour lutter contre les abus.

La semaine dernière, un syndicat qui représente 3000 travailleurs de l’industrie des sables bitumineux a obtenu une injonction interdisant le dépistage aléatoire de drogues chez Suncor Energy. Le tribunal a estimé que les droits des travailleurs sont tout aussi importants que la sécurité.

L’histoire a aussi démontré que même si un employé consomme de la marijuana à des fins thérapeutiques — ce qui est permis depuis des années —, l’employeur n’est pas tenu d’accepter une baisse des facultés au travail. Mais certaines souches de cannabis thérapeutique contiennent moins de THC, et sont donc moins psychoactives.

Et il reste à démontrer que la marijuana affecte vraiment la productivité, puisqu’il n’existe encore aucune étude empirique là-dessus, soutient la chercheure ontarienne Andrea Furlan, qui oeuvre dans ce secteur.

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