J’ai déjà eu l’occasion d’écrire à quel point les sondages d’opinion sur l’immigration ne sont pas très utiles pour certains sujets lorsqu’ils ne sont pas confrontés aux faits réels. Par exemple, les sondés peuvent bien répondre que l’immigration a un impact négatif sur l’économie ou la société, mais encore faut-il rappeler que cela va à l’encontre des nombreuses recherches qui disent le contraire.
Par contre, un sondage peut être utile pour mettre sur pied des mesures qui tiennent compte des opinions des personnes auprès desquelles on veut intervenir. C’est le cas du sondage Léger commandité par le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM). Il s’agit d’un sondage sur l’immigration réalisé entre le 23 novembre et le 2 décembre 2017 auprès de 1096 personnes de 18 ans et plus provenant de la région de Montréal. Le BINAM est un organisme rattaché à la Ville de Montréal qui se donne comme objectif d’élaborer une stratégie anti-rumeurs.
Plusieurs constatations peuvent d’ores et déjà éclairer les actions. Premièrement, il permet de constater que dans l’ensemble les résultats sont fort positifs. Exemples:
- peu de mentions négatives face à l’immigration (environ 10%);
- 64% considèrent que les nouveaux arrivants sont un atout pour la Ville;
- 61% pensent que les relations entre les Montréalais et les nouveaux arrivants sont plutôt harmonieuses;
- la majorité des répondants ne sont pas d’accord avec les préjugés sur les compétences au travail des nouveaux immigrants (p. ex. leur moindre productivité).
Ce panorama plutôt positif est d’autant plus surprenant que plus de la moitié des répondants (56%) disent ne pas avoir de nouveaux arrivants dans leur entourage immédiat, et cela malgré que près de 70% de ceux-ci proviennent de l’île de Montréal, où se concentrent les immigrants. Or on sait que les perceptions négatives sont plus répandues dans les régions où il y a peu d’immigrants.
Il serait intéressant de voir, dans des analyses plus approfondies, si les perceptions du groupe ayant des immigrants dans son entourage sont effectivement plus positives que les autres. Si tel est le cas, les actions pourraient se concentrer dans des secteurs géographiques à faible représentation immigrante.
Deuxième constatation: il semble que les opinions des répondants sont généralement plus positives que celles qui circulent autour d’eux. Les rumeurs entendues par les répondants au cours de la dernière année indiqueraient que l’entourage est plutôt hostile à l’immigration. Quelques exemples de rumeurs entendues:
- «Il y a trop d’immigrants à Montréal».
- «Les immigrants sont une menace pour la langue française».
- «Les immigrants sont des voleurs de jobs» (voir mon blogue sur cette question).
Ce résultat est difficile à interpréter. Il faudra approfondir davantage cette question afin de voir d’où proviennent ces rumeurs, comment elle circulent et sur quoi elles sont basées.
Troisième constatation: il y a peu de mention de la discrimination lorsqu’il est question d’intégration au marché de travail. Les raisons principales données sur les difficultés d’intégration économique sont la langue et la non reconnaissance des diplômes. Pour une minorité de personnes, le port de signes religieux est également mentionné comme facteur pouvant affecter négativement l’intégration au marché de travail. Le racisme et la xénophobie n’apparaissent pas en tant que tel comme facteurs, même si les répondants pouvaient donner jusqu’à trois réponses. Sur la question plus générale concernant l’accueil des Montréalais, à peine 6% de l’échantillon mentionne le racisme et la xénophobie comme raisons du mauvais accueil.
Ce résultat porte à réfléchir. Il paraît étonnant compte tenu des nombreux débats récents concernant la discrimination et le racisme au Québec. On pourrait argumenter que si l’on posait directement la question – «croyez-vous qu’il y a du racisme et de la xénophobie» – plusieurs personnes répondraient «oui». Mais quand on laisse les personnes interrogées donner elles-mêmes les raisons des difficultés d’intégration, comme dans le présent sondage, très peu mentionnent «spontanément» la discrimination et le racisme. Ce résultat, combiné avec les perceptions positives sur l’immigration, devrait teinter le contenu des messages anti-rumeurs. Les messages trop négatifs donnant l’impression que la discrimination est généralisée, ou encore que l’immigration est perçue négativement, sont souvent rébarbatifs et contreproductifs.
Enfin, le sondage devrait permettre de cibler davantage les interventions. Inutile d’intervenir auprès des gens déjà convaincus. Deux groupes devraient être particulièrement ciblés. Le premier concerne les personnes qui répondent «ne sait pas». Selon les questions, ce groupe peut varier entre 10 et 20%. C’est le groupe qui est le plus susceptible de réagir favorablement aux interventions anti-rumeurs. Déjà influencer, ce groupe représenterait un résultat important de la stratégie.
Le deuxième groupe est plus problématique et inclut les personnes qui ont des perceptions négatives basées sur des «rumeurs». S’il s’agit de personnes irréductibles, les interventions risquent d’être moins efficaces. Néanmoins, le plus grand défi pour la stratégie anti-rumeurs est de rejoindre ce groupe et de tenter de l’influencer.
Dans les deux cas, une première étape essentielle consisterait à les caractériser: âge, sexe, origine nationale, classe sociale, lieu de résidence, éducation, etc.
Une dernière utilité du sondage-action mérite d’être soulignée. En effet, toute stratégie doit prévoir des mécanismes d’évaluation. Le sondage est un bon point de départ pour faire le suivi («monitoring») des actions entreprises. Dans ce cas, il faut répéter le sondage avec autant que possible la même méthodologie.