Nouvelle d’envergure: un tribunal suisse acquitte quelques manifestants pro-climat ayant paralysé les activités d’une des banques du pays. Le motif? L’exception de nécessité.
Le réchauffement climatique étant, selon le tribunal, considéré d’urgence (on sera d’accord avec lui), le mobile de la manif justifie, du coup, celle-ci. Boum. L’État de droit est peut-être en train de se métamorphoser. La game aussi.
Retour au Québec, où des événements similaires forcent une réflexion similaire. Des manifestants sont accrochés à un pont important, kidnappant le cours normal du 450.
Autre clignement de l’œil, autre boum: des militants véganes s’infiltrent dans une ferme agricole, souhaitant attirer l’attention sur des pratiques condamnées.
La game change, disais-je. Quid de l’État de droit québécois ou canadien? Ça reste à voir. Ceux et celles qui me lisent depuis X temps connaissent ma propension à défendre ce dernier, particulièrement en ce qui a trait aux libertés civiles.
Encore faut-il, toutefois, que l’État de droit en question repose sur un socle de justice sociale. Sans bases légitimes, celui-ci pourrait autrement être instrumentalisé à des fins condamnables.
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Afin de contrer «l’anxiété des agriculteurs», le ministre Lamontagne fignole actuellement une loi, toujours en gestation, qui aura pour effet de prendre le taureau par les cornes: les activistes animalistes casqueront.
Des amendes de 15 000$ pour une entrée par effraction, et de 25 000$ pour les récidivistes-têtes-de-cochon. Peine excessive interdite à l’article 12 de la Charte canadienne? Possiblement.
L’ironie? C’est que, malgré l’adoption en 2015 de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, celle-ci ne s’applique pas à… l’industrie agricole.
Celle-ci, en d’autres termes, ne sera redevable qu’à elle-même. Parlons conséquemment d’une loi symbolique, voire hypocrite.
Ce que souhaitent les activistes, au fait? Que le ministre et son troupeau cessent de ménager la chèvre et le chou. Même s’ils sont doux comme des agneaux, la requête militante est ferme: que le traitement des animaux dans les élevages et les abattoirs soit filmé. En échange, plus d’intrusion. Réponse de l’industrie? Une face de bœuf qui en dit long.
OK, suffit de pondre des jeux de mots bêtes.
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Le mérite de ce léger grabuge? Faire avancer la cause. Oui, sérieusement. Des noms? Morgentaler. Rosa Park. Luther King. Mandela. Gandhi.
J’en entends plusieurs remuer d’ici: Bérard, pauvre imbécile, comment comparer ces enjeux fondamentaux à celui du véganisme? L’analogie tient en fait à ceci: et si nous étions dans le champ, côté agroalimentaire?
Les standards moraux, souvent englués, peuvent évoluer par l’entremise d’actions d’éclat dénuées de violence. Les exemples ci-dessus, auxquels on peut ajouter le droit de vote des femmes, suffisent pour s’en convaincre.
Les standards moraux, souvent englués, peuvent évoluer par l’entremise d’actions d’éclat dénuées de violence.
D’ailleurs, maintenant que les solutions de rechange sérieuses existent à l’élevage traditionnel, la question, notamment d’un point de vue environnemental, ne devrait-elle pas occuper davantage l’espace politico-médiatique?
Pourquoi ce refus, ô combien conservateur, de glorifier les voies nous éloignant des confortables paradigmes reçus? Combien de révolutions porteuses, au fait, sans avoir botté le cul de l’apathie et de la complaisance populaire?
Un petit mot, pour finir, avec Henry David Thoreau, maître à penser de plusieurs des grands personnages mentionnés précédemment: «Ainsi, l’État ne tente jamais de s’adresser au jugement, intellectuel ou moral, d’un homme, mais seulement à son corps, à son sens. L’État n’est doué ni d’un esprit supérieur ni d’une honnêteté supérieure, mais uniquement d’une force physique supérieure. Je ne suis pas né pour que l’on exerce sur moi une quelconque forme de force. Je tiens à respirer comme bon me semble […] Si une plante ne peut vivre conformément à sa nature, elle meurt. Il en va de même pour un homme.»
Bouffe à réflexion.