Les autorités publiques n’ont rien appris de la crise d’Oka, déplore le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador, Ghislain Picard, alors que des blocus ferroviaires persistent un peu partout au pays en raison d’un projet de gazoduc controversé en Colombie-Britannique.
«Quelles leçons a-t-on tiré de la crise d’Oka? Trente ans plus tard, on se retrouve avec le même dilemme territorial qu’on avait devant nous en 1990», soulève M. Picard, en entrevue avec Métro.
En 1990, la municipalité des Laurentides a été le théâtre de 78 jours d’affrontements qui ont opposé des manifestants Mohawks aux forces de l’ordre et à l’armée canadienne. Au coeur de ce conflit, qui a fait un mort, se trouvait le projet d’agrandissement d’un terrain de golf sur des terres où est situé un cimetière mohawk.
Cette fois, le coeur des blocus ferroviaires en cours depuis plusieurs jours au pays est relié au projet de gazoduc de 670 km Coastal GasLink, en Colombie-Britannique. L’entreprise TC Energy affirme avoir signé des ententes avec une vingtaine de conseils de bande élus situés le long du tracé du pipeline au cours des dernières années.
Elle n’a toutefois pas consulté les chefs héréditaires de la communauté Wet’suwet’en, qui reçoivent l’appui de plusieurs Autochtones. Ceux-ci craignent pour la protection des terres sur lesquels ils demeurent et réclament une déviation du tracé du pipeline. L’entreprise rejette toutefois cette avenue en soulignant que cela ferait gonfler jusqu’à 800 M$ la facture du projet, actuellement évaluée à 6,6 G$.
«C’est là que, finalement, on se retrouve un peu trop souvent devant un mur parce qu’il n’y a pas de volonté politique pour écouter ces préoccupations, qui sont intimement liées au territoire et aux ressources», évoque M. Picard.
Des interventions qui dégénèrent
Dans les dernières années, la gestion du territoire a créé de nombreuses tensions entre les communautés autochtones et les autorités publiques. Cela a notamment été le cas avec l’oléoduc Trans Mountain et le projet de GNL Québec, chapeauté par Énergie Saguenay.
«On a quand même un historique, au Québec et au Canada, d’interventions auprès des Autochtones qui ont dégénéré», souligne à Métro le professeur au département de science politique de l’Université de Montréal et expert en matière de droits autochtones, Martin Papillon.
Selon lui, les autorités publiques et l’entreprise TC Energy auraient dû tenir «un vrai processus de consultations en amont pour éviter une confrontation comme on le voit en ce moment».
Arrêter les blocus ferroviaires
Malgré les négociations tenues samedi entre le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, et des manifestants autochtones, les blocus ferroviaires se poursuivent dans plusieurs secteurs du pays, lundi.
L’organisme exo a d’ailleurs confirmé lundi que le service de la ligne de train de Candiac allait demeurer interrompu jusqu’à nouvel ordre. Une situation reliée au blocus exercé par des manifestants autochtones à Kahnawake en appui aux chefs héréditaires.
«On a prouvé notre point. Le gouvernement et l’industrie ont compris. Même si les blocus arrêtaient aujourd’hui, ils comprendraient que s’ils ne négocient pas de bonne foi, les blocus vont reprendre», estime le grand chef de Kanesatake, Serge Simon.
Ce dernier craint que si les blocus continuent, cela ne nuise à la relation entre les communautés autochtones et le reste de la population canadienne.
«Si on commence à frapper trop dur sur l’économie [avec les blocus ferroviaires], ça pourrait nuire aux relations entre les Autochtones et les Canadiens.» -Serge Simon
En marge d’une conférence, lundi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a également appelé au «dénouement rapide» de cette impasse.
«Il faut trouver un terrain d’entente parce qu’on ne peut pas garder les utilisateurs [du train de banlieue] prisonniers, comme c’est le cas depuis une semaine», souligne-t-elle.
À Montréal, lundi, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés sur la rue Sherbrooke entre Mansfield et University pour soutenir la communauté Wet’suwet’en. Dimanche, le premier ministre Justin Trudeau a annulé une visite dans les Caraïbes, afin de tenter de trouver des solutions aux barrages ferroviaires. Il a d’ailleurs tenu une rencontre lundi avec plusieurs ministres à cet effet.