De nombreux aînés vivent des niveaux d’isolement sans précédent depuis le début des mesures de confinement. Mais pour plusieurs aînés de la communauté LGBTQ+, souvent sans conjoint, sans enfants, et réticents à révéler leur orientation sexuelle à leurs pairs, cet isolement est d’autant plus important.
Au moment de notre appel, Léopold David, 72 ans faisait son épicerie seul au Centre-Sud de Montréal. «Il me manquait quelques affaires», nous dit-il.
Il n’a pas de conjoint, d’enfants, de petits-enfants ou de proches qui peuvent lui apporter de l’épicerie. Son frère aîné n’est pas à Montréal et il est rarement en contact avec ses proches.
Le septuagénaire commence à trouver le confinement long.
«Je trouve ça difficile, je ne me retrouve plus à Montréal», souffle-t-il au bout du fil.
Retourner dans le placard
Jasmine Renaud, une lesbienne de 68 ans, a plus de chance. Elle a une sœur qui habite proche d’elle et qui l’aide à faire son épicerie. Bénévole pour Interligne, une ligne d’écoute LGBTQ+, elle a toutefois vu de près une autre réalité: celle des aînés qui retournent «dans le placard» parce que leurs voisins dans les maisons de retraite ne les acceptent pas.
En temps normal, près de 20% des appels reçus à la ligne d’écoute Interligne proviennent des LGBTQ+ aînés qui se sentent souvent isolés, selon l’organisme. Ils cachent souvent leur identité dans les milieux de vie pour personnes aînées.
Mme Renaud, 68 ans, l’a vu de ses propres yeux. Dans la maison de retraite qui hébergeait sa mère, elle entendait souvent des remarques homophobes. «Les aînés LGBTQ+ étaient souvent étiquetés de façon péjorative. […] Ils se retrouvent plus seuls et sont constamment pointés du doigt», affirme-t-elle.
Dans son appartement des Habitations Jeanne-Mance, où logent plusieurs aînés, Léopold David ne partage pas son identité sexuelle. «Je ne me mêle pas trop aux personnes ici. S’ils me posent la question ils vont avoir la réponse», dit-il.
M. David ajoute qu’il est parfois reconnu pour son implication auprès des personnes atteintes du VIH, un virus qu’il a contracté il y a maintenant 30 ans.
Ayant survécu à la polio et au VIH, M. David prend ses précautions lorsqu’il sort de chez lui. «Mais je ne veux pas m’enfermer dans mon logement jusqu’aux Fêtes, je ne peux pas m’empêcher de vivre», dit-il.
«Le VIH m’avait bien préparé à la mort, le moins beau est à venir. De penser comme ça, ça m’aide à garder mon moral» – Léopold David.
Un jumelage pour briser l’isolement
Tous ces facteurs réduisent le bassin de personnes à qui les aînés LGBTQ+ peuvent se tourner pour briser la solitude. Depuis le début du confinement, le volume des appels a augmenté de 30% chez Interligne.
«Le niveau d’anxiété est très lourd en ce moment», affirme le directeur général Pascal Vaillancourt.
L’organisme souhaite aider ces gens qui ne peuvent pas recevoir des appels de leurs enfants ou petits-enfants, comme le recommande le premier ministre François Legault. Depuis jeudi, Interligne a lancé un nouveau programme de jumelage visant spécifiquement les personnes LGBTQ+ de 65 ans et plus.
Les personnes aînées peuvent maintenant s’inscrire à une liste par téléphone ou internet. Une personne de chez Interligne communiquera avec eux régulièrement. Le bénévole peut même aider la personne à commander son épicerie sur internet.
Léopold David dit qu’il aimerait bien y participer. Il ne se sent pas interpellé par les programmes en ligne.
M. Vaillancourt dit qu’il est conscient que plusieurs personnes de la communauté LGBTQ+ ont vécu de la stigmatisation dans le réseau de la santé et des services sociaux, qui porte selon lui un regard hétéronormatif sur la santé.
«Ces personnes-là ne vont souvent pas demander de l’aide, car elles ont peur d’être rejetées», stipule-t-il. Avec des bénévoles, des sexologues et des médecins à la disposition de la ligne d’écoute, il espère que le jumelage apporte un espace sécuritaire pour les aînés LGBTQ+.