Mars dernier, devant une classe de brillants futurs juristes. Le genre engagés socialement, qui nous brassera le cul avant longtemps, évidemment pour le mieux. Après une convo la veille avec une amie médecin, je leur communique la probable nouvelle : oubliez ça, la session est manifestement terminée, au moins côté présentiel. La pandémie forcera, avant longtemps, le gouvernement à tirer la plug.
Le silence de l’angoisse est palpable.
– Vous êtes sérieux, monsieur?
– De ce que qu’on me dit, oui. Ce qui s’en vient sera pénible, et pour une mèche.
Re-silence. Re-angoisse.
Pendant la pause, le gouvernement confirme l’info reçue : finito, les classes bondées. Finito, les échanges, les réflexions, les jokes, les propositions littéraires, le socratisme. En bref, finito, le bonheur.
Je devais les quitter avec un semi-mot d’adieu, sachant l’improbabilité de les revoir dans un proche avenir ou mi-lointain. Le motton, je dois dire. Parce que le seul antitode valable au scepticisme ambiant sur notre avenir sociétal, c’est justement celui-là : des jeunes bourrés d’enthousiasme, d’idéaux humanistes non encore contaminés par les aléas d’une existence kidnappée par quelconque impératifs matérialistes.
Triste mais résigné, l’espoir de voir dévier l’inéluctable trajectoire pourrait, ô oxymore, assourdir les hurlements intérieurs. Mais en vain. Le sablier estival vidé de son contenu, le retour en classe, planifié sous le signe d’une improvisation mixte mettant en vedette un comédien raté et des «stratégies» l’étant tout autant, suscite une anxiété d’ampleur : semi-présentiel-temps-partiel-ça-dépend-on-verra-stressez-pas-nous-autres-non-plus-on-sait-pas-où-on-va-pis-si-ça-change-on-avisera. Ou pas.
Qu’on me comprenne bien : je suis de ceux qui souhaitent une lutte musclée à la pandémie, allant jusqu’à accepter que certaines libertés, capricieuses ou non, cèdent place aux restrictions d’envergure. Histoire qu’on finisse par en finir.
«On parle – ou plutôt devrait parler – d’une génération estudiantine autrement appelée «avenir», sacrifiée à l’autel des priorités gouvernementales.»
Mais il y a un mais. Et il frappe. Collectivement. Et fort. Parce qu’on parle – ou plutôt devrait parler – d’une génération estudiantine autrement appelée «avenir», sacrifiée à l’autel des priorités gouvernementales.
Celles qui souhaitent conserver le libre-accès aux Wal-Mart et Costco de ce monde, bondés temps plein, mais refusent la possibilité qu’une poignée d’étudiant.es s’éparpillent dans une salle aux allures de semi-gymnase. Celles qui, à l’enjeu de l’absence des ventilateurs d’air dans lesdites salles, répondent que les profs «n’ont qu’à ouvrir les fenêtres». Celles qui balancent des milliards à tout crin pour une troisième voie et autre bêtise amputant le futur climatique, mais peinent à offrir une poignée de change (10 millions sur un budget annuel de 137 milliards) aux jeunes de 17 à 34 ans (après 34, sèche, buddy…) pour les questions de santé mentale.
Celles qui permettront quelques rencontres dans le temps des Fêtes, lesquelles, de l’aveu même des décideurs, rendront inévitables une contamination prononcée auprès de ces mêmes étudiant.es, justifiant un retour des classes légèrement décalé. Celles qui exigent des standards académiques similaires aux années antérieures, sans égard au fait que l’apprentissage s’exécute essentiellement à distance, par l’entremise d’enregistrements désincarnés, impersonnels et pédagogiquement nuls (les miens, du moins).
– Allô papa!
– Comment ça va? Pas trop raide, cette semaine, tes cours?
– Disons que pour une première session à l’université, pas connaître ni voir personne, seule dans ma chambre avec des tonnes de trucs à lire, la pression des examens, des travaux, ce n’est vraiment pas évident.
– Ton seul défi est de ne pas te mettre trop de pression, tu sais ça, hein?
– Je sais, merci, t’es fin.
L’angoisse est masquée par la semi-confiance de sa réponse. Pour la première fois de ma vie, je m’inquiète pour elle.
Non pas de ses capacités de performance ou d’organisation, bien sûr. Plutôt du fait que Loto-Priorités lui répète, à l’instar de sa bande estudiantine, hebdomadairement la fatale nouvelle : vous avez (encore) tiré le mauvais numéro.