L’implantation d’un tribunal spécialisé dans les violences sexuelles et conjugales fait du chemin au Québec. Le gouvernement de François Legault s’apprête à faire l’étude de ce modèle, qui pique déjà l’intérêt du ministre de la Justice.
Simon Jolin-Barrette «veut donner confiance dans le système de justice aux victimes d’agressions sexuelles». Lundi, il annonçait la mise sur pied d’un groupe de travail censé analyser dans les prochains mois le potentiel d’un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles et de violences conjugales au Québec.
«Je ne l’aurais pas fait si je n’étais pas favorable à l’idée du tribunal», a souligné le ministre de la Justice en entrevue avec Métro, lundi.
Le modèle de tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles est rare. On en compte deux à travers la Planète. En décembre, toutefois, un rapport d’expert déposé à l’Assemblée nationale recommandait d’emblée qu’on en lance un dans la province.
Le nouveau groupe de travail comptera non seulement sur le ministère de la Justice, mais aussi sur le ministère de la Sécurité publique, sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales et sur la Commission des services juridiques.
La Cour du Québec aura également son mot à dire. Surtout parce que, tel que recommandé à l’automne, M. Jolin-Barrette souhaite rattacher cette nouvelle institution au tribunal de première instance.
«À partir du moment où la recommandation est faite, il faut savoir comment on applique ça pratico-pratique. Faisons le travail ensemble pour voir comment on peut le matérialiser», a indiqué le ministre.
Propositions
Dans son rapport déposé cet automne, le Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale avait émis 190 recommandations, chapeautées par les quatre partis politiques provinciaux.
«Il y a déjà plusieurs éléments d’accompagnement qui existent au Québec, mais c’est très éclaté. Ce qu’on propose, c’est de regrouper les forces au sein du tribunal», a affirmé lundi la coprésidente du Comité, la professeure en droit Julie Desrosiers.
Dans son rapport, le groupe d’experts recommande notamment que Québec donne plus de formations – auprès «des officiers de justice et des intervenants», mais aussi des juges et des procureurs – sur le thème des agressions sexuelles et conjugales.
Il suggère également d’adapter les installations physiques de cette cour, afin d’assurer «des contacts [minimisés] avec l’accusé».
Au-delà du tribunal, le comité demande que le gouvernement Legault adopte un «Secrétariat à la coordination et à l’intégration des actions en matière de violences sexuelles et conjugales». Pour le moment, Québec n’a pas donné de nouvelles sur cette recommandation.
Ligne du temps
Simon Jolin-Barrette souhaite des conclusions au groupe de travail «dans les meilleurs délais». À l’intérieur du premier mandat de la Coalition avenir Québec? L’élu ne veut pas s’avancer.
«Il est possible de procéder par étapes, affirme Julie Desrosiers, qui enseigne à la Faculté de droit de l’Université Laval. Ce que je sais, c’est qu’il y a des choses qu’on peut faire quand même dans un horizon rapproché, parce que ce n’est pas vrai qu’on part de rien.»
Au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, on évoque un «projet pilote», afin d’accélérer l’entrée en vigueur du tribunal.
«Avec ce projet pilote, on pourrait faire l’évaluation du tribunal en temps réel», a signifié la coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Mathilde Trou.
L’organisme s’étonne par ailleurs que les organismes de lutte aux violences ne soient pas représentés au sein du groupe de travail gouvernemental. Il exhorte le ministre Jolin-Barrette à corriger cette décision.
«Nous, on peut présenter la réalité des victimes», ajoute Mme Trou. Le ministre de la Justice, lui, se dit «ouvert» à agrandir la table ronde.
La potentielle mise sur pied d’un tribunal en matière de violences sexuelles et conjugales survient dans un contexte chargé au Québec. En décembre, la Cour statuait dans deux des dossiers en violences sexuelles les plus médiatisés de l’histoire du Québec. Gilbert Rozon et Éric Salvail, tous deux accusés d’agression sexuelle, émergeaient acquittés de leurs procès respectifs.
Quelques mois plus tôt, des centaines de personnes avaient investi le Web dans une troisième vague de dénonciations majeure depuis #MoiAussi, en 2017.