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Une lutte antiraciste à poursuivre pour les communautés noires du Québec

Au micro, la directrice de la ligue des Noirs nouvelle génération, Anastasia Marcelin, lors d'une manifestation contre le racisme en juin 2020.

La dernière année a été charnière dans la lutte des communautés noires au Québec. Mais selon plusieurs activistes rencontrés dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, il reste encore beaucoup de travail à faire pour qu’elles obtiennent le même traitement que tous les citoyens.

Ricardo Lamour, auteur-compositeur interprète et entrepreneur social, croit que l’année 2020 a fait vivre un «électrochoc», notamment au Québec. Une secousse qui, selon lui, n’est pas encore terminée.

La mort de George Floyd, et la place qu’a occupée le racisme systémique dans le débat public, sont en cause. Mais la pandémie l’est aussi, soulève M. Lamour.

«Le racisme ne prend pas de pause et ça a pris des formes particulières, plus abjectes pendant la pandémie», dit-il, en faisant référence à l’impact disproportionné qu’a eu la COVID-19 sur les communautés racisées.

«Je crois qu’il y a eu beaucoup de prises de conscience individuelles et collectivement aussi sur ces enjeux-là», mentionne le cofondateur de l’organisme Hoodstock, Will Prosper.

«Ça a été une année importante. On a réussi à amener la conversation autour du définancement de la police qui est devenue plus mainstream alors qu’elle était historiquement mise en marge», explique la membre de Black Lives Matter Montréal, Marlihan Lopez.

Un mouvement «difficile à arrêter»

Métro s’est entretenu avec cinq figures influentes des communautés noires qui militent pour la justice raciale au Québec.

Celles-ci sont unanimes sur un constat: la lutte contre le racisme connait une expansion sans précédent dans la société québécoise.

«Maintenant, la communauté noire refuse de se fermer la bouche, soutient la directrice de la Ligue des Noirs nouvelle génération, Anastasia Marcelin. On voit de plus en plus de militants et de blancs aussi. Les Québécois sont juste tannés, et ça, c’est important.»

«Dans notre génération, il y a plus de personnes qui sont conscientes qu’il y a des inégalités», explique la directrice de l’Association de la communauté noire de Côte-Des-Neiges, Tiffany Callender.

«Ça va être difficile à arrêter, pense Will Prosper. Il y a vraiment un vent de changement qui souffle.»

La prochaine étape

Mais si la société a été sensibilisée comme jamais à ces enjeux, les actions concrètes pour changer les choses se font encore attendre. Pour les communautés noires, la lutte est loin d’être achevée.

L’un des principaux problèmes que vivent encore aujourd’hui ces communautés est ses relations avec la police et le profilage racial, selon les intervenants.

«Clairement, on a une problématique de sécurité avec le SPVM, pointe Tiffany Callender. Il faut avoir une réforme sur comment les policiers interagissent avec les communautés culturelles et visibles. C’est très nécessaire pour nos jeunes, qui se retrouvent en secondaire un ou deux avec des dossiers qui vont les suivre dans leur vie qui vont limiter ce qu’ils vont pouvoir faire.»

Pour certains, la réforme doit être plus radicale. À Black Lives Matter Montréal, on souhaite couper dans le budget de la police et utiliser ces fonds pour soutenir davantage les communautés affectées par le profilage.

«Notre objectif, c’est la libération de nos communautés, explique Marlihan Lopez. C’est sûr que la lutte contre la violence policière étant l’un de nos mandats principaux, l’enjeu du définancement de la police est important. Ce n’est pas juste de définancer la police, c’est d’investir par des programmes qui sont menés par et pour nos communautés.»

Les activistes sont aussi d’avis qu’il faudra se battre sur le front de la reconnaissance du racisme systémique par le gouvernement provincial. Selon eux, le refus du premier ministre François Legault de reconnaître ce problème a un impact concret.

«De ne pas le reconnaître, ça veut dire que tu n’agis pas, croit Will Prosper. On ne peut pas avoir confiance en quelqu’un qui n’est pas capable de voir une évidence.»

«Malheureusement, on n’a pas d’engagement politique de nos élus là-dedans, déplore Marlihan Lopez. Juste cette année, on a eu certaines concessions au niveau municipal, mais encore au niveau très performatif, et on ne voit pas ça accompagné de vraies mesures et d’actions concrètes pour s’attaquer aux racines du problème.»

Pour Tiffany Callender, le mouvement a eu un tel poids politique dans la dernière année qu’il faut s’en servir pour élire des représentants des communautés prêts à agir sur ces enjeux.

«Il y a beaucoup de forces dans différents mouvements, groupes et institutions, observe-t-elle. Maintenant, il faut mettre ça ensemble. Ça veut dire qu’on doit s’organiser autour des élections qui arrivent bientôt. On doit faire une éducation autour de communautés pour qu’elles utilisent leurs votes pour changer les personnes au pouvoir.»

Les intervenants ont également mentionné plusieurs autres enjeux qui devront être abordés dans les prochaines années, dont le racisme dans les systèmes d’éducation, de santé et de justice et dans l’accès au logement et à l’emploi.

Ricardo Lamour pense toutefois que la période de sensibilisation qui précède les actions n’est pas encore terminée. «Je ne pense pas qu’on ait les conditions favorables pour faire de la planification stratégique, mais clairement que les anticorps de vigilance sont levés pour continuer à lutter sur plusieurs fronts pour que l’intégrité physique, psychique et économique des communautés noires soit préservée.»

Le Québec en retard?

Pour certains, la société québécoise s’est fait devancer par les autres provinces canadiennes, et même par les États-Unis en termes de progrès dans la lutte antiraciste.

«On est comme au primaire alors que les autres sont rendus au cégep, illustre Will Prosper. En Ontario, on parle de racisme anti-noir, on parle de fragilité blanche. Essaie de parler de fragilité blanche ici. On n’est même pas capable d’avoir ce discours-là, ni de reconnaître le racisme systémique. On n’a pas les experts et expertes dans nos médias issus de ces communautés-là qui en parlent. Il y a beaucoup de rattrapage à faire pour correspondre juste avec nos voisins américains.»

«Je dois faire des rencontres pancanadiennes avec d’autres groupes et c’est toujours très frustrant de voir comment on est en retard pour admettre qu’il y a un problème», fait valoir Marlihan Lopez.

Mais pour d’autres, le succès de la lutte antiraciste passera par l’effort de mieux la conjuguer avec la spécificité de la société québécoise. C’est la vision que prône Anastasia Marcelin, qui pense notamment qu’il faut faire un effort pour mettre de l’avant la langue française lors des manifestations.

«Il ne faut pas aller chercher la mentalité des Américains et amener des bobos des autres pour faire en sorte que les choses puissent avancer. On doit respecter la mentalité des Québécois.»

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