Ils aident ceux et celles qui sont en crise ou risquent de passer à travers les mailles, mais ils ont aussi besoin d’aide. L’épuisement professionnel est en augmentation parmi les travailleurs du milieu communautaire, selon une nouvelle étude.
Les personnes qui décrochent les téléphones aux centres de crise, qui veillent à la sécurité des usagers des sites d’injection supervisée ou qui distribuent la nourriture dans les banques alimentaires sont au front de la lutte à la COVID-19. Depuis le début de la pandémie, qui a frappé la sécurité financière et psychologique de beaucoup de Québécois, bon nombre de ces «anges gardiens» ont constaté une demande élevée pour leurs services.
Mais, selon une nouvelle étude du Laboratoire de recherche sur la santé au travail de l’Université du Québec à Montréal, ils sont eux-mêmes à bout.
Selon l’étude, 29% des travailleurs en milieu communautaire ont souffert d’épuisement professionnel au cours de la première vague, comparé à 20% avant la pandémie. Des résultats préliminaires d’une troisième phase de l’étude indiquent que le pourcentage grimpe jusqu’à 37% pendant la deuxième vague.
«Le communautaire est un milieu qui est très délaissé en général. Les travailleurs sont très impliqués dans ce qu’ils font, mais nous ne savons pas comment ça se passe à l’intérieur de leurs milieux de travail», commente Alexandra Giroux, doctorante en psychologie du travail et des organisations, cochercheuse de l’étude.
«Il y a un énorme manque de ressources financières et humaines, mais il y a aussi une énorme charge de travail et une lourde charge émotionnelle. Les personnes se sentent coupables de laisser tomber leurs collègues ou leur clientèle. Ils vont se donner à fond pour s’assurer que les services ne sont pas affectés.»
L’étude indique que la pandémie a augmenté le stress ressenti par beaucoup de travailleurs. «Tout le monde est stressé, isolé et fatigué, et tout est lourd», poursuit Alexandra Giroux. «On s’attendait à voir de l’épuisement, mais on voit une augmentation constante et un peu effrayante. Si on fait une quatrième étude, est-ce que ça va monter à 50% ?»
Luc Vallerand est directeur général de Suicide Action Montréal. Au début de la pandémie, plus de la moitié des bénévoles sur lesquels le service de soutien téléphonique dépend se sont désistés.
«On a dû faire des acrobaties dignes du Cirque du Soleil pour avoir du financement pour embaucher et former des intervenants pour remplacer ces personnes», se souvient le directeur général. Parallèlement, depuis le début de la crise, le nombre d’appels reçus par le centre a augmenté de 15%.
L’embauche d’intervenants additionnels a permis de réduire la pression sur les équipes, le personnel a accès à une ligne de soutien téléphonique, et ils sont encouragés à prendre leurs journées de congé et demander de l’aide quand ça va moins bien.
«Les gens ont de la difficulté à prendre leurs vacances, ils sont très dévoués», remarque Luc Vallerand. «Mais nous insistons pour que les gens prennent les jours de congé auxquels ils ont droit. S’ils ne se reposent pas, ils ne pourront pas bien aider les autres.»
«Les personnes qui travaillent en santé mentale sont les grands oubliés de cette crise», ajoute-t-il. «Dans le réseau de la santé, on donne une “prime COVID” aux travailleurs. J’aimerais que ça existe pour les intervenants [en santé mentale]. Nous sommes des intervenants de première ligne.»
Alexandra Giroux espère que les résultats de l’étude alimenteront un débat sur les conditions de travail des travailleurs communautaires, qui vivent souvent de la précarité financière et n’ont pas toujours de la stabilité en emploi, étant donné le financement périodique sur lequel beaucoup de programmes s’appuient. «Nous voulons que les [acteurs du milieu] se réunissent autour d’une table pour voir ce qu’on peut améliorer.»