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Chantal Hébert: «Non voulait dire non»

Le 30 octobre 1995, le Québec passe à quelque 54 000 voix de dire oui à son indépendance. Près de 20 ans plus tard, la journaliste politique Chantal Hébert a rencontré les acteurs de la campagne référendaire afin de retracer comment la classe politique se préparait à une victoire du Oui. Son livre Confessions post-référendaires révèle l’incertitude qui régnait en coulisse de ce soir historique et éclaire du même coup la relation Québec-Canada d’aujourd’hui.

Au fil de vos entretiens, avez-vous été surprise de constater à quel point la réponse à donner à une éventuelle victoire du Oui a été si peu claire pour les acteurs politiques en 1995?
Je n’étais pas complètement étonnée de la diversité des réactions du côté du Non. Je comprenais qu’au lendemain d’un Oui, avec un Québécois comme premier ministre fédéral, le Canada se poserait toutes sortes de questions.

Pour le camp du Oui, ce qui m’a frappé, c’est que les trois représentants de l’option (Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont) ne s’entendaient pas sur le sens à donner à une victoire (indépendance, offre de partenariat ou révision de la place du Québec au Canada). J’ai longtemps souscrit à l’idée que les gens qui ont voté Oui en 1995 savaient pour quoi ils votaient. Mais en voyant que les gens qui ont posé la question ne partageaient pas une vision commune, je pense que, la prochaine fois, il faudra s’entendre pour que la question soit claire.

On apprend notamment dans votre livre que le jour même du référendum, Jacques Parizeau avait rompu les communications avec Lucien Bouchard. Comment expliquer un tel revirement à l’aube du grand jour?
Ç’a été une surprise d’entendre M. Bouchard nous dire: «Finalement, je me suis demandé s’il y avait vraiment une place pour moi.» Clairement, ce jour-là, M. Parizeau reprend le contrôle du jeu. Il est premier ministre et, vu les sondages favorables au Oui, il pense qu’il va gagner. Il sait qu’à la fin de la soirée, même si Lucien Bouchard a pris beaucoup de place dans la campagne, c’est lui qui sera installé au volant et ce n’est pas un volant qu’il a l’intention de partager.

Un peu plus de 1% des voix ont séparé le Oui du Non en 1995. A-t-on pleinement saisi, près de 20 ans plus tard, la signification d’un verdict référendaire aussi serré?
Nous sommes obligés aujourd’hui d’arriver à la conclusion que Non voulait dire Non. On ne peut pas dire que la relation avec le reste du Canada a avancé sur le plan des revendications traditionnelles du Québec. Nous avons même aujourd’hui un gouvernement fédéral qui a obtenu une majorité de sièges sans le Québec. En 1995, on croyait qu’en l’absence de changements constitutionnels, les Québécois préféreraient partir. Vingt ans plus tard, force est d’admettre que le statu quo a rallié plus de gens que l’indépendance.

En septembre, plusieurs observateurs au pays auront les yeux tournés vers l’Écosse, qui votera sur son indépendance. Le résultat du vote aura-t-il un impact ici sur les souverainistes et les fédéralistes?
On ne vote pas par mimétisme. Par exemple, les gens qui défendent le Oui au Québec depuis 40 ans étaient généralement plus inspirants que les gens qui défendaient le Non. Si on votait pour le meilleur chef, le Québec serait déjà un pays. Donc, si le Oui l’emporte en Écosse, on ne peut pas penser que les gens vont se réveiller le lendemain en disant: «Nous aussi on est capables».

Peu importe l’issue du vote, certaines choses vont rester de la démarche écossaise, tant sur la question de la clarté que sur la nécessité d’une entente entre les parties. Les fédéralistes sont très forts sur la question claire, mais il faut aussi admettre qu’il n’y a pas de droit divin à l’extérieur du Québec pouvant décider qu’un résultat de 50% + 1 n’est pas valable. Il y a un côté très ordonné dans la démarche écossaise qui me semble devoir faire école.

«Ces gens se sont assis pour se dire, dans moins de 24 heures, il y a de fortes chances que le Oui gagne… Qu’est-ce que je fais? Quand on est premier ministre de l’Ontario ou du Canada, ce n’est pas de la fiction que d’envisager l’après-référendum.» – Chantal Hébert

Le choc de 1995 a-t-il encore une résonance dans le reste du Canada?
On ne se réveille pas la nuit dans le reste du Canada en pensant qu’il va y avoir un référendum ni pour se dire: «Oh mon Dieu, le Québec passe son temps à nous mettre un couteau sur la gorge»! Les Québécois ont délaissé le Bloc et le Parti québécois sans que personne ne leur promette quoi que ce soit. Alors avec le temps, le couteau est devenu un canif en plastique… Ce qui est resté du référendum de 1995, c’est que la souveraineté n’est pas un dossier qui regarde seulement les Québécois. C’est un enjeu dans lequel tout le Canada a un intérêt.

Comment la déroute actuelle des souverainistes influencera-t-elle les élections fédérales de 2015?
Pour Stephen Harper, le pire scénario en avril dernier aurait été la réélection d’un gouvernement souverainiste majoritaire. Son manque de popularité au Québec serait devenu une faiblesse aux yeux de beaucoup de gens à un moment dangereux pour la fédération. Les libéraux étaient au pouvoir lors des deux référendums et sont identifiés à l’unité canadienne. La carte québécoise aurait donc profité à Justin Trudeau en cas de victoire péquiste majoritaire.

Vous dites en conclusion de votre livre que «les Québécois sont collectivement capables de grands virages»? Dans la foulée des dernières élections provinciales au Québec, les commentateurs politiques ont-ils prononcé trop vite la mort de la souveraineté?
La vie des journalistes et des politiciens dure l’espace d’une seconde; la vie d’un peuple s’étire sur beaucoup plus longtemps. En ce moment, le Québec n’est pas en train de construire un rapport de force qui le mènera à un référendum gagnant. Cependant, je peux très bien imaginer une autre boîte – quand on aura laissé tomber celle de 1995 qu’on rafistole depuis 20 ans du côté souverainiste – où il y aurait une dynamique complètement différente. Les idées ne meurent pas facilement, et l’indépendance est une idée qui garde son attrait. Elle n’est tout simplement pas bien défendue.

Confessions post-référendaires
En librairie mercredi

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