MONTRÉAL – L’UPAC a réalisé un gros coup de filet dans le monde politique: elle a arrêté sept personnes jeudi dont l’ancienne vice-première ministre libérale du Québec, Nathalie Normandeau, et l’ex-ministre libéral et ancien vice-président de la firme de génie Roche, Marc-Yvan Côté.
Présumés impliqués dans un stratagème de financement politique illégal et d’octroi de contrats publics, ils devront répondre à des accusations de corruption, de fraude envers le gouvernement et d’abus de confiance.
Nathalie Normandeau va plaider non coupable, a fait savoir son avocat Maxime Roy: «Sans hésitation».
Elle fait face, tout comme Marc-Yvan Côté, à sept chefs d’accusation.
Ils risquent 14 ans de prison, qui est la peine maximale pour l’accusation de corruption et pour celle de fraude de plus de 5000 $.
Ils ont été arrêtés au terme de deux enquêtes criminelles «marathon» menées par des agents de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), soit les opérations Joug et Lierre, qui ont débuté il y a quatre ans et demi.
Au total, 43 chefs d’accusation ont été portés contre des gens du monde politique provincial et municipal et contre la firme de génie-conseil Roche. Les gestes reprochés auraient été posés entre 2000 et 2012.
«De graves infractions», a dit en conférence de presse le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, «qui mettent en péril les principes mêmes de la démocratie».
Les personnes arrêtées «sont présumées impliquées dans des stratagèmes criminels reliant à la fois des activités frauduleuses de financement politique et l’obtention indue de subventions gouvernementales ou de contrats publics», a expliqué M. Lafrenière.
«Il est injuste et inéquitable d’utiliser des contrats publics comme outils politiques et il est également intolérable d’utiliser le pouvoir de son influence pour favoriser des élections», a-t-il enchaîné.
Bref, il s’agirait du système déjà décortiqué à la commission Charbonneau: des entreprises font de généreux dons aux caisses des partis politiques ou des cadeaux et lorsque ceux-ci sont élus, ils accordent les lucratifs contrats publics — par exemple de réfection de routes ou de construction de ponts — ou encore des subventions gouvernementales à ceux qui les ont aidés.
«Roche avait un concept de développement des affaires relativement agressif qui faisait en sorte qu’elle approchait des membres influents du gouvernement», a indiqué l’inspecteur André Boulanger, responsable de la Direction des enquêtes sur la corruption de l’UPAC, qui a souligné qu’elle fonctionnait avec un système de prête-noms.
Si le tout est prouvé, il s’agit de contraventions aux lois qui régissent l’octroi des contrats publics, a dit M. Lafrenière.
Le grand patron de l’UPAC n’a toutefois pas voulu dire en lien avec quels contrats publics ces arrestations ont été faites, puisque cette preuve n’a pas encore été dévoilée à la défense.
Les autres personnes du monde politique arrêtées jeudi sont l’ex-chef de cabinet de Nathalie Normandeau, Bruno Lortie, l’ex-attaché politique au bureau de comté de Charlevoix de Pauline Marois, Ernest Murray et l’ex-maire de Gaspé, François Roussy.
Ce dernier a réagi jeudi par communiqué: «Je suis sous le choc et vraiment très surpris de ces accusations! Ceci étant dit, je fais entièrement confiance au système judiciaire pour faire toute la lumière sur cette affaire et au moment opportun, je pourrai enfin exprimer toute ma version des faits», a écrit M. Roussy.
Du côté du monde des affaires, les personnes visées sont toutes de la firme d’ingénierie Roche (qui s’appelle dorénavant Norda Stelo Inc). L’UPAC a accusé son ancienne vice-présidente France Michaud et son ex-président et chef de la direction Mario Martel. Il est à noter que l’ex-ministre Marc-Yvan Côté a aussi été vice-président du développement des affaires de la firme de génie Roche.
Arrêtés pour la plupart à leur domicile à Québec, en Gaspésie et à Charlevoix, peu après six heures du matin, ils ont été emmenés pour interrogatoire dans des postes de police. Ils ont ensuite été libérés sous promesse de comparaître.
M. Lafrenière n’a pas exclu que d’autres personnes soient arrêtées.
Mme Normandeau a d’abord été surprise des accusations, puis est passée en mode «combatif», a dit son avocat Maxime Roy, en entrevue.
«On persiste à croire qu’elle n’a rien commis qui pourrait mériter des accusations criminelles et on entend en faire la démonstration».
Le délai avant le dépôt des accusations est en raison de «la fragilité, voire l’inexistence de la preuve contre elle», a dit le procureur qui l’a accompagnée lorsqu’elle a comparu en 2014 devant la Commission sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction présidée par la juge France Charbonneau.
L’ancienne ministre avait alors jeté le blâme pour les situations litigieuses relevées devant la commission sur les firmes de génie et sur son ex-directeur de cabinet.
«Si ça s’est fait, tout s’est fait à l’insu du ministère et de la ministre que j’étais», avait-elle assuré.
«Et croyez-moi, je n’étais pas naïve au point de croire que certaines personnes qui étaient là ne pensaient pas, peut-être, obtenir certaines choses en retour de leur implication au sein du Parti libéral du Québec. Mais ces gens-là se sont trompés, parce qu’il n’y a jamais eu de retour d’ascenseur», avait-elle plaidé.
Après son départ de la vie politique, Mme Normandeau avait décroché un contrat d’animatrice à la station FM93, de Québec. Dans la foulée des événements de jeudi, son employeur, Cogeco Media, l’a suspendue sans solde, «et ce jusqu’au dénouement des procédures».
Le nom de l’émission qu’elle coanime avec Éric Duhaime a promptement été modifié — «Normandeau-Duhaime» est ainsi devenu «Duhaime le midi» sur le site Web de la station. L’animateur Duhaime s’est dit «déboussolé» par l’arrestation de sa coanimatrice.
Pour sa part, l’ancien premier ministre Jean Charest, qui avait nommé Nathalie Normandeau au poste de ministre, est présentement à l’extérieur du pays. Il ne fera «aucun commentaire», a indiqué l’un de ses collaborateurs au bureau d’avocats McCarthy Tétrault, Grégory Larroque.
France Michaud de la firme Roche a été reconnue coupable en septembre dernier pour une affaire de financement illégal d’un parti municipal à Boisbriand, en lien avec l’octroi du contrat d’usine d’épuration d’eau de Boisbriand, qu’avait obtenu Roche.
Les sept personnes arrêtées jeudi seront formellement accusées au palais de justice de Québec le 20 avril.