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L’ambiguité qui dérange

La quantité de personnes qui trouvent que «ce n’est pas nécessaire» de faire un coming out parce que tout le monde devrait donc être content de s’aimer ou parce que «ce qui se passe dans la chambre à coucher ne nous regarde pas» démontre ironiquement à quel point il est encore nécessaire non seulement de faire des coming out, mais d’en expliquer, encore, le bienfondé. Je l’ai fait à plusieurs reprises, et je ne m’attarderai pas à l’expliquer à nouveau : à un moment donné, il y a une limite à la quantité d’énergie que l’on peut mettre à inviter des gens bornés à faire preuve d’humilité et de sensibilité face à un sujet qu’ils ne maîtrisent visiblement pas, particulièrement en cette semaine où la communauté LGBT a été si violemment attaquée. Je me contenterai simplement de référer à des textes écrits dans le cadre du coming out d’Éric Salvail et du recrutement du footballeur Michael Sam.

Le coming out de Cœur de Pirate comme personne queer est important à plusieurs égards. Premièrement, il nous a donné l’occasion de nous pencher collectivement sur un terme avec lequel une majorité de Québécois n’étaient visiblement pas familiers. Quelques minutes après la publication de sa lettre en anglais sur le site de Noisey, Radio-Canada publiait que Cœur de pirate révélait «son homosexualité», annonçant qu’elle était «lesbienne». Or, rien dans le texte de Béatrice Martin ne laissait supposer qu’elle se positionnait de manière aussi drastique sur l’échelle de Kinsey, un barème pas si récent, ayant été développé en… 1950.

Pour reprendre la définition donnée par le lexique LGBT de la Chambre de commerce gaie du Québec, une personne queer est une «Personne qui n’adhère pas à la division binaire traditionnelle des genres et des sexualités, s’identifiant à une identité de genre ou à une orientation sexuelle non-conforme ou fluide». Récemment, le chroniqueur du Nightlife Murphy Cooper s’identifiait comme étant queer, ou fluide, si vous préférez. On peut s’identifier comme étant queer en vertu de son orientation sexuelle, de son identité de genre, des deux, ou encore en s’inscrivant dans un courant politique ou académique. En anglais, le terme, qui était péjoratif à la base, signifiant «bizarre», a été réapproprié par la communauté LGBT de manière plus consensuelle que n’a pu l’être l’insulte raciale «n***» chez les Afro-Américains. Mais ce qu’il y a d’ironique dans cette identification qui revendique un certain rejet des étiquettes, c’est qu’elle génère souvent un appel (lorsque ce n’est pas une injonction) à se définir plus précisément. La nature a horreur du vide. Ou de l’incertitude. C’est pourtant l’étiquette qu’a utilisée Cœur de pirate, et la seule chose à comprendre vraiment, c’est que cela lui appartient.

Parce que, pas même 24 heures après que le mot ait surgit dans le discours public québécois, plusieurs personnes semblent s’impatienter devant ce terme qu’ils ne comprennent pas. «C’est compliqué», disent-ils en substance. C’est correct. On ne vous demande pas de comprendre en claquant des doigts. La meilleure attitude à avoir, dans pareille circonstance, est peut-être celle de Marilou : «Et maintenant que j’ai appris que le mot #queer existe, il me reste à essayer de le comprendre comme il faut.» Quand on ne connaît pas un sujet, la moindre des sensibilités est de l’aborder avec humilité.

Chose certaine, ce n’est pas aux hétéros de juger de la pertinence du mot queer sous prétexte qu’ils ne le comprennent pas.

Mais il y avait quelque chose d’encore plus important dans la lettre de Cœur de pirate, qui a été complètement éclipsé par toute cette histoire de définition : une illustration très concrète de la pression sociale à se conformer au modèle hétérosexuel. «Mes premières pensées romantiques étaient envers une fille. Je ne comprenais pas tellement, parce que j’avais 6 ou 7 ans, mais je me souviens que les parents de la fille ont appelé les miens pour lui dire que les appels téléphoniques et l’attention qu’on se donnait étaient trop intenses. […] En grandissant et en voyant comment les gens interagissent, c’est devenu clair pour moi que c’était bizarre d’aimer quelqu’un du même sexe. Une de mes premières amours était une fille, et dès qu’elle l’a su, elle m’a ignorée. Pour tout le monde, c’est traumatisant. J’ai réalisé qu’aimer quelqu’un du même sexe n’était pas complètement accepté. Je me suis rangée dans un mode de vie hétérosexuel, par peur du rejet».

On se demande souvent si les personnes LGBT naissent différentes, ou si notre orientation sexuelle ou notre identité de genre s’acquièrent, en fonction ou non de notre environnement. On se demande beaucoup plus rarement si les personnes hétérosexuelles sont nées ainsi, ou si elles ne se situent pas quelque part au milieu de l’échelle de Kinsey, se rangeant par commodité dans un mode de vie hétérosexuel. Déjà dans les années 1950, les recherches du Dr Kinsey tendaient vers cette conclusion. Mais pour paraphraser l’auteure lesbienne Jeanette Winterson : «Pourquoi être heureux quand on peut être normal?»

Le coming out de Coeur de pirate est important parce qu’il offre un modèle à tous ceux qui ne s’inscrivent pas de manière si nette dans les cases. Il dit que ça se peut, et que c’est correct. Il ne suffit que d’un tout petit tour dans les écoles, les milieux de travail et… l’internet, pour savoir que non, ce n’est pas si évident que ça.

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