CHRONIQUE – Provigo de Saint-Michel-des-Saints, octobre 2021, samedi lugubre. À la caisse, en train de payer. À la file, un peu derrière moi, un homme me lance sans cesse des regards moqueurs. Il souhaite, manifestement, entamer la convo. Je lui rends, comme signal de départ, son sourire.
– Ah ah, a fait dur en christ, ta citrouille!!
Je regarde mon achat. Il a raison.
– Qu’est-ce tu vas faire avec ça, une citrouille laide de même?
– De mon mieux?
Il rit de ma réponse, et me fait signe de l’attendre. Une fois ses trucs payés, il s’approche et m’accompagne dans le stationnement.
– Je voulais te dire merci.
– Pour avoir choisi la citrouille la plus laide?
– Nonon. Pour les débats à Denis Lévesque, sur le racisme systémique, sur Joyce.
– Merci, mais c’est ce que je pense anyway. Vous venez de Manawan?
– Oui.
– Vous avez connu Mme Echaquan?
– Oui, bien sûr. Tout le monde la connaissait. On l’adorait. Une perle.
– Et comment ça se passe, maintenant, un an après le drame?
Son visage casse.
– C’est difficile. Très tough.
Il s’arrête. Et reprend.
– On ne comprend pas. On ne comprend pas ce qu’on vous a fait, pour qu’il y ait autant de méchanceté.
– Me sens mal, monsieur, croyez-moi.
– Je m’appelle Stan. Tutoie-moi, stp. On a présenté le Principe de Joyce à Québec, et ils l’ont refusé, peux-tu croire à ça?
– Je sais.
– Pourtant, ça disait juste qu’on a le droit aux mêmes soins de santé que vous autres!
– Je sais.
– On est plusieurs à avoir peur de se faire soigner à l’hôpital… Trouves-tu ça normal?
– Non, évidemment.
– Pourquoi les Blancs ne font rien? Pourquoi ils acceptent que le Principe de Joyce soit refusé par Legault? C’est la base, non?
– Évidemment.
– Tsé, on demande pas grand-chose, juste d’être traités comme les autres. Pourquoi les Blancs ne nous aident pas, et qu’ils appuient Legault?
– Plusieurs ne l’appuient pas, par contre. Et plusieurs sont sensibles à la cause.
– Je sais, je ne veux pas trop généraliser. Mais pourquoi rien ne change? Legault refuse même de reconnaître le racisme systémique, c’est pas normal, ça!
– Même si tous les rapports le reconnaissent…
– Alors pourquoi???
Le désarroi de Stan me désarme. Le cri du coeur assourdissant d’un homme et sa communauté empêtrés dans l’injustice, l’ignominie. L’absurde, aussi. Son confort, surtout.
Parce que plus facile de se satisfaire des excuses factices d’usage.
Plus simple de croire aux artifices d’un premier ministre sortant magistralement désintéressé par quelconque réconciliation sincère.
Un leader qui rejette le concept éprouvé de «racisme systémique» vécu partout en Occident, sauf apparemment ici.
Un leader qui réduit l’affaire à un vulgaire «débat de mots», comme si ceux-ci, au final, ne revêtaient aucune importance afin de cerner un enjeu, comme si un remède sans diagnostic préalable pouvait, sérieusement, procurer quelconque baume valable.
Un leader qui refuse de reconnaître l’évidence afin d’épargner les susceptibilités respectives de quelques chroniqueurs-alliés et d’une frange électorale sinon raciste, au moins xénophobe.
On s’est quittés, Stan et moi, en échangeant nos numéros de téléphone, en promettant de garder contact. Poignée de main sentie. Suivie d’une accolade. Franche et sincère. Comme Stan.
***
Lors du débat de jeudi, en entendant Legault clamer que «le problème qui est arrivé avec Mme Joyce à l’hôpital de Joliette est maintenant réglé. Je viens de parler à son mari. Il est réglé!», j’ai eu mal.
Et quand j’ai lu, le lendemain, que le chef caquiste «accuse les Attikameks de ne pas vouloir régler le problème», j’ai eu honte.
J’ai pensé téléphoner à Stan.
J’ai pas osé.