Ma mère a fêté son anniversaire lundi. Je tairai son âge parce que je l’entends déjà me dire: «Tsé Annéli, l’âge, c’est ben personnel.»
N’empêche que ma mère vieillit, c’est un fait indéniable. Ça me coûte toujours un peu d’admettre que les gens que j’aime ne sont pas imperméables au temps.
Cela étant dit, je vieillis aussi. Les membres d’Arcade Fire vieillissent. Les acteurs qui ont joué dans Place Melrose vieillissent. Même Gregory Charles vieillit. Tout le monde vieillit.
Ce processus se fait d’une étonnante façon. Enfant, on souhaiterait tout accélérer et gravir les échelons de la vie à la vitesse grand V, tirer sur le grand ruban blanc du temps, question de sauter les «bouttes plates» et accéder à l’autonomie qui vient avec l’âge.
Je me rappelle la joie de tenir mon premier portefeuille, vide évidemment. J’y repense et je trouve ça absurde! Me réjouir d’avoir un compte chèque avec autour de 40 $ dedans, résultat de deux 20 $ de carte de fête.
Je me rappelle aussi avoir eu hâte qu’on me fasse confiance, qu’on me confie des choses. Je crois que je cherchais des moyens de me sentir digne.
Je me rappelle les premières exaltations, aussi vives que les premières hontes. Je me rappelle la confusion de l’adolescence. Elle ne me semble pas si lointaine, en fait.
Je me rappelle le début des études en théâtre, la fougue. Je me rappelle aussi avoir trouvé ça plate de pas pouvoir retirer des sous parce qu’il me restait moins de 20 $ dans mon compte pour «toffer ma semaine». Je me rappelle avoir dormi dans des locaux de cégep pendant les tournois d’impro, la tête sur mon sac à dos, allongée sous trois pupitres.
Passé 30 ans, le sentiment est très différent. Je dois dire que je traverse une période extrêmement intéressante, composée d’une certaine impression d’affranchissement, mélangée à cette urgence de prendre les bonnes décisions tout en portant l’insouciance de la jeunesse inébranlable.
Je ressens le passage du temps par ce qu’on appelle «les petites choses qui ne mentent pas».
En voici quelques-unes: «J’espère qu’il va y avoir des places assises.» «Ah je sais pas, j’ai pas pensé à demander si c’était bar open.» «Tu me diras si tu vas chez Costco.»
Oh well. Toute ça est correct. Toute ça est ben ben correct. Seulement, c’est une chose de vieillir, mais encore faut-il bien vieillir. Par bien vieillir, j’entends ne pas désespérément s’accrocher à la jeunesse.
J’espère ne jamais envisager d’acheter le tape qui retient la peau de cou. Je souhaite poser un regard tendre sur moi-même et accepter que je suis plus qu’un âge, qu’un corps.
Le week-end dernier, j’ai regardé une partie de la marche des femmes à Washington. Partout sur la terre, des femmes, par milliers, qui défendaient leurs droits fondamentaux avec fougue. L’adversité dans laquelle nous plonge Trump a créé une solidarité si puissante, si enlevante que son souffle a balayé au passage beaucoup de mes craintes. Il fait bon être femme. Il fait bon avoir 30 ans. Il fera bon en avoir 40, 50, 60, 70 et 80.
Parce que l’heure est au courage, à la compassion et à la lutte. Parce que nous ne sommes pas seules.