Dans le long métrage de fiction Catimini, la réalisatrice Nathalie Saint-Pierre s’est intéressée à la réalité des enfants sous la protection de la DPJ en racontant les histoires de quatre filles d’âge différent trimballées d’un foyer d’accueil à un autre. Des histoires ni roses ni misérabilistes, mais plutôt un regard lucide sur une situation pas toujours facile à vivre.
Elle aura mijoté longtemps, cette deuxième offrande de Nathalie Saint-Pierre. Celle qui a sorti son premier long métrage, Ma voisine danse le ska, en 2003 songeait déjà, il y a 10 ans, à traiter un jour de la réalité des enfants placés en foyer d’accueil. «J’y pensais sans trouver ma porte d’entrée, explique-t-elle. Je ne voulais surtout pas faire un film larmoyant.
J’avais envie d’un film qui dénoncerait des situations dont j’ai été témoin, mais je voulais aussi faire œuvre de cinéma, je ne voulais pas faire un film d’intervention sociale. C’est quand j’ai eu le flash de cette succession de portraits que je me suis mise à travailler sérieusement.»
C’est ainsi que sont nées l’enfant Cathy (Émilie Bierre), la préadolescente Kayla (Joyce Tamara-Hall), l’adolescente Mégane (Rosine Chouinard-Chauveau) et la nouvelle «adulte» Manu (Frédérique Paré). Quatre filles d’âge différent qu’on suit à diverses étapes de la «spirale» de la DPJ, depuis la famille d’accueil reproduisant le modèle maman-papa (lesquels sont incarnés par Isabelle Vincent et Roger La Rue, une famille dans laquelle les quatre filles ont commencé leur parcours) jusqu’au centre jeunesse, en passant par le foyer d’accueil avec éducateurs spécialisés.
«Depuis mon enfance, je connais des enfants qui ont été placés dans des familles d’accueil, parce qu’à mon école primaire, il y avait l’équivalent d’un centre jeunesse juste à côté, se souvient Nathalie Saint-Pierre. Donc chaque année, on avait dans notre classe quatre ou cinq enfants turbulents – mais bien attachants! Ils me restent en tête des années après.»
La réalisatrice n’a donc pas eu de recherche à faire à proprement parler, puisqu’elle s’est toujours intéressée aux enfants de la DPJ sans que ça soit nécessairement pour en faire un film. «J’ai vu des choses que j’appelle la cruauté ordinaire, celle qui n’est pas exercée par mauvaise intention, mais un peu par inadvertance, décrit-elle. Des gens qui parlent des enfants à côté d’eux comme s’ils étaient sourds, avec des constats affolants, des pseudodiagnostics, des jugements… et puis les centres jeunesse, qui donnent l’impression d’un environnement carcéral, même si l’intention n’est pas là; ce ne sont pas des prisons, mais c’est tout comme. Je comprends que certains adolescents arrivent là et soient incontrôlables. En les mettant dans ce contexte… En tout cas, moi, je sais que l’adolescente que j’étais se serait radicalisée dans un endroit comme ça.»
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Pour écrire son scénario, Nathalie Saint-Pierre s’est d’ailleurs beaucoup basée sur ses propres impressions : «Je n’ai pas recueilli des histoires, je me suis juste demandé : moi, si j’avais six ans, si j’arrivais dans ma énième famille d’accueil, comment ça se passerait? J’ai fait en sorte qu’il n’y ait rien d’extrêmement dramatique. C’est quasiment des archétypes.» Mission accomplie, puisque nombreuses sont les éducatrices à avoir vu le film et à avoir dit à Nathalie Saint-Pierre à quel point elle dépeignait la réalité du milieu avec justesse, relate celle-ci.
La cinéaste précise néanmoins qu’elle n’a en aucun cas souhaité faire porter le blâme des drames vécus par les enfants de la DPJ aux gens qui s’occupent d’eux («c’est une grosse roue qui tourne et qui fait que ça devient de plus en plus impersonnel»).
Aussi montre-t-elle dans Catimini des adultes ni admirables ni condamnables, mais qui ne sortent tout simplement pas du cadre de leurs fonctions, «hormis le personnage de Roger La Rue, qui fait preuve de bienveillance et d’affection», souligne-t-elle. «Les conditions n’ont pas de bon sens pour les familles d’accueil, qui n’ont aucun avantage et tous les inconvénients, fait-elle remarquer. Elles devraient être payées davantage et avoir la responsabilité de moins d’enfants, par exemple.»
S’il y a une chose que Nathalie Saint-Pierre espère, c’est que Catimini «donnera à voir une réalité dont on a tous entendu parler, mais dont on ne sait pas grand-chose». «Les gens n’ont pas vraiment conscience de ce que ça signifie, quand on leur parle d’un enfant qui en est à sa sixième famille d’accueil, par exemple, dit-elle. Des fois, j’ai envie de dire : “Ça fait 2 ans que tu me rebats les oreilles avec ta peine d’amour, et moi, je te parle d’un enfant de 11 ans qui a 6 séparations au compteur. Ne reconnais-tu pas en quoi ça peut être complètement bouleversant?”»
Catimini
En salle dès vendredi