Annie Roy et l’équipe de Quand l’art passe à l’action (ATSA) convient les Montréalais à la table des personnes réfugiées et immigrantes.
Ils quittent leur foyer dans l’urgence, craignant pour leur vie. D’autres, dans l’espoir d’améliorer leur sort et celui de leurs enfants. En 2017, le couple d’artistes Annie Roy et Pierre Allard a donné la parole aux migrant.es qui ont trouvé refuge à Montréal à la première édition de Cuisine ta ville, une série d’événements culturels extérieurs animant la place des Festivals.
En 20 ans de carrière, le duo a réalisé plus d’une cinquantaine d’interventions urbaines d’art social. La pratique des deux artistes, incarnée par l’organisme Quand l’art passe à l’action (ATSA), qu’ils ont fondé, se compose d’expériences immersives qui déconstruisent préjugés et stéréotypes. On les connaît pour les 13 éditions d’État d’urgence, une série de performances artistiques visant à sensibiliser les citadin.es à la condition des sans-abri. Ils ont aujourd’hui passé le flambeau de l’itinérance pour se dévouer à la cause des migrants.
«Nous nous limitons souvent aux chiffres et aux statistiques dans le discours public sur l’immigration. Pourtant, quand on ressent l’immense résilience, la capacité de survie des personnes, on ne peut que se sentir choyé de les accueillir chez nous», estime Annie Roy, cofondatrice de l’ATSA. Pour l’occasion, 50 artistes, 25 conférences et témoignages, 10 projections de films et 44 «partys de cuisine» auront lieu sous les abris tempo qui parsèmeront la place des Festivals.
Soupe politique
À l’heure du midi et en soirée, une soupe concoctée par une personne immigrée sera servie alors qu’on écoutera son histoire durant 44 «Partys de cuisine» du monde entier. «Loin de la maison, on s’ennuie de cuisiner, et de nombreux réfugiés sont en attente d’une maison. La nourriture comporte certes un aspect collectif de partage, mais elle cultive aussi un rapport d’intimité», remarque Annie Roy.
Les cuisiniers ne sont pas des chefs. Ils mitonnent les recettes qui ont bercé leur enfance, transmises de génération en génération. Certains plats témoignent d’une histoire nationale, comme la soupe au giraumon d’Haïti. Elle était autrefois réservée aux tables de l’élite, mais les esclaves affranchis s’en sont approprié la recette et les ingrédients, qu’ils cultivaient à l’indépendance du pays en 1804.
«En tant que Blancs, Nord-Américains et Européens, nous sommes responsables d’accueillir les personnes qui souffrent le plus des actes nuisibles que nous avons commis dans le monde, à commencer par les réfugiés climatiques. Nous sommes responsables d’une bonne partie de la population mondiale qui se déplace à cause de notre mode de vie capitaliste et énergivore. Si cette responsabilité dérange notre confort, c’est tout à fait normal. Il faut se le rentrer dans la tête.» Annie Roy, cofondatrice de l’ATSA
L’installation d’art relationnel Le temps d’une soupe reprend également du service. Dans une scénographie semblable à une terrasse de restaurant, deux participants étrangers partagent leur vécu devant une soupe offerte par le restaurant Bloomfield. À la fin de la rencontre, une photo d’eux brandissant une pancarte qui résume leur conversation s’ajoute aux 4 200 portraits déjà croqués un peu partout dans le monde.
Les parcours d’art incluent le travail sur la mémoire de l’artiste française Joanne Milanese. Trois personnes réfugiées originaires de la Colombie, du Vietnam et du Congo lui parlent des maisons qu’elles ont laissées derrière. L’artiste reproduit les plans de ces logis en puisant dans leurs souvenirs. En scène extérieure, les spectateurs pourront entendre la musique d’Oktoécho, une fusion entre traditions autochtones et arabes. La voix féministe et reggae de Joyce N’Sana, artiste réfugiée du Congo, résonnera également sous les abris tempo.
Le volet Fèt an Ayiti, sera consacré à la santé maternelle et infantile en Haïti.
«Si on peut faire quelque chose pour améliorer la situation, les gens n’auront pas à vivre des traumatismes qui les poussent à quitter leur pays. Les réfugiés et les immigrants n’ont pas d’autre choix que de partir; c’est une nécessité. Il faut arrêter de penser qu’on est gentil ici en les accueillant. Cela m’irrite. On se glorifie d’accueillir des gens, alors qu’on est chanceux de recevoir une telle qualité humaine. Il faut être extraordinaire et immensément courageux», déplore-t-elle.