Culture

Jean-Marc Vallée, cet ancien show-off

Vallée

Jean-Marc Vallée

(Rouyn-Noranda) De son propre aveu, Jean-Marc Vallée a déjà été show-off. Alors que, selon lui, il cherchait trop à épater la galerie dans ses premières œuvres, le cinéaste chevronné rencontré au Festival de cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT) tend désormais vers l’humilité. 

«Si tu me pars, tu vas voir, il va falloir que tu m’arrêtes!» lance le réalisateur des acclamés C.R.A.Z.Y., Dallas Buyers Club et Sharp Objects dès le début de notre entretien, tout juste après une généreuse conférence durant laquelle, là aussi, il ne s’est pratiquement jamais arrêté, bondissant d’un souvenir de tournage à un autre, racontant de savoureuses anecdotes, toujours visiblement amusé. 

Comme sa déception de ne pas avoir pu rencontrer Martin Scorsese, producteur de Young Victoria (2009), qui était trop occupé sur le tournage de The Departed avec Leonardo DiCaprio. «Lâche Leo et viens faire un tour sur notre plateau!» a lancé le cinéaste québécois, faisant éclater de rire le public pendu à ses lèvres. 

Jean-Marc Vallée a aussi posé un regard très critique sur ses premières œuvres, notamment C.R.A.Z.Y. (2005), film marquant de la cinématographie québécoise et qui l’a révélé au reste du monde. «Aujourd’hui, quand je regarde C.R.A.Z.Y., je trouve ça un peu too much. C’est trop gros. C’est le film d’un réalisateur qui cherche trop à épater», dit-il.

En deux mots, c’était show-off, répétera en entrevue le réalisateur étonnamment dur envers lui-même. «J’essaie aujourd’hui de ne pas être show-off et de laisser toute la place à l’histoire et à l’émotion. Quand je commençais, j’étais un réalisateur égocentrique qui se trouvait bon […].»

Si ses œuvres plaisent autant, selon lui, c’est d’ailleurs parce qu’elles tendent vers des émotions pures. «Ça ne vient pas d’une place où il y a de la vanité; ça vient d’une place où il y a de la sincérité, un désir de toucher et un désir de vérité.»

S’il dit aujourd’hui avoir plus de «sobriété, d’humilité et d’assurance», c’est en grande partie grâce à sa méthode de travail, qu’il perfectionne depuis le tournage de Café de Flore (2011). À l’époque, pour mettre à l’aise de jeunes acteurs trisomiques, il avait choisi de se départir de tout ce qui était superflu sur le plateau. 

«Choisir son film, c’est choisir sa vie. C’est choisir de se lever le matin pour aller servir une histoire. Je fais une belle job, moi là!» –Jean-Marc Vallée, cinéaste

Le résultat a été si émouvant que Jean-Marc Vallée tourne depuis ce temps en mode minimaliste: caméra à l’épaule, en éclairage naturel et avec une très petite équipe. «On est là pour capter des performances d’acteurs. C’est ça, la magie du cinéma», dit-il. 

C’est ce genre de précieux conseils du métier qu’il a prodigués il y a quelques jours à des étudiants en cinéma de la région dans le cadre du projet La watch, auquel participaient d’autres artistes, dont Micheline Lanctôt et Armand Vaillancourt. 

«Ces jeunes veulent être scénaristes, réalisateurs, producteurs… Ça tombe bien, c’est ce que je fais! Je suis là pour eux. C’est leur moment pour tout me demander!»

Jean-Marc Vallée prend un véritable plaisir à partager ses expériences et son expertise à la relève en cinéma. «J’aime toujours ça rencontrer les gens, je suis là pour ça. Je suis en congé, je viens parce que j’aime la place et que j’aime l’équipe du festival», dit-il tout simplement.

Sa présence au FCIAT coïncide d’ailleurs avec la fin d’une pause de quelques mois que s’est imposée le cinéaste après sept ans de travail ininterrompu du côté américain qui l’ont mené au bord du burn-out, après les séries Big Little Lies et Sharp Objects, toutes deux primées. 

«C’est bien d’arrêter des fois, parce que c’est prenant pour l’esprit. Tu finis tes journées avec le désir d’arrêter de travailler, mais quand vient le temps de faire à manger ou de faire la vaisselle, ça t’habite encore. C’est dur de s’en débarrasser.»

Comment résume-t-il ses derniers mois? «Une pause un peu en accéléré, lance-t-il en riant. J’aurais aimé qu’elle soit plus posée, cette pause. Je ne me sens pas encore rechargé à 100%, mais je suis prêt à repartir. J’ai hâte de me remettre à travailler.»

John, Yoko, un gorille, un oiseau

Son retour au boulot commence avec un nouveau projet d’envergure: un film sur l’histoire d’amour entre John Lennon et Yoko Ono. Au cours des cinq prochains mois, le cinéaste et son collègue Anthony McCarten rédigeront à quatre mains un scénario qui couvrira l’ensemble de la relation des deux artistes mythiques, de leur rencontre à l’assassinat de l’ex-Beatle. 

Pour l’instant, le film n’a ni titre ni rôles attribués. Le tournage doit avoir lieu à l’automne 2020 en vue d’une sortie en salle en 2021. «J’aimerais ça qu’on soit prêt pour Cannes, je n’y ai jamais été! Si on pouvait être sélectionné, ce serait cool!» lance-t-il avec enthousiasme. 

Étant donné qu’il est un cinéaste très demandé, qu’est-ce qui lui a fait dire oui à ce projet? «C’est la possibilité de raconter leur histoire d’amour. Je la trouve très belle. Et ce qu’ils ont vécu socialement, en militant pour la paix dans le monde, c’est beau. Je trouve ça important avec ce qui se passe aujourd’hui, avec le gouvernement américain qui est là… Je pense que ça va résonner. Il y a un bon timing pour sortir cette histoire.» 

Jean-Marc Vallée est très heureux de renouer avec le cinéma, dont le rythme de travail est moins exigeant que la télévision. «C’est marathonien, la télé. Je me suis ennuyé de la course rapide», illustre-t-il. 

Cela dit, le cinéaste approche les deux médias de la même façon. «Quand je travaille pour HBO, je fais du cinéma, mais dans un format long. On n’attend pas la diffusion de l’épisode 1 pour terminer les autres. On fait tout d’un coup: on regarde, on patche, on arrange, on change, clac-clac-clac, et une fois qu’on aime les épisodes et qu’on trouve que ça se tient, c’est fini. C’est comme un gros, gros long métrage, divisé en sept ou huit parties.»

À une différence près, précise-t-il: chaque fin d’épisode doit piquer la curiosité du téléspectateur pour qu’il regarde la suite. Ce qu’il a réussi brillamment avec ses deux séries. «Le plaisir que j’avais à choisir les fins d’épisode! s’emballe-t-il. Et à monter l’affaire en crescendo avant qu’arrive le générique sur fond noir!»

Il s’était ennuyé du long métrage, mais Jean-Marc Vallée reviendra bientôt chez HBO pour adapter le roman Gorilla and the Bird, de Zack McDermott, qui relate la descente aux enfers d’un procureur de la Couronne devenu bipolaire. «Le livre va sortir au Québec en français bientôt. Il faut lire ça!»

Et pourquoi donc? «Pour le combat de cet homme afin de stabiliser son état mental et pour la manière dont il arrive à le faire, dans le système de santé américain, grâce à l’amour de sa mère. C’est rare qu’on voit un fils et une mère avec ce genre de relation assez fusionnelle et exemplaire.» 

Le projet suivant sur sa liste sera au Québec, où Jean-Marc Vallée souhaite tourner Les temps magiques, film qu’il a scénarisé il y a près de 10 ans et qui fait suite à ses 2 courts métrages, Les fleurs magiques (1995) et Les mots magiques (1998). «L’idée était de suivre les mêmes personnages à intervalle de 20 ans. Le premier se passait en 1968, le deuxième dans les années 1990 et le troisième sera vers 2020.»

Ça, c’est s’il réussit à se libérer. «À un moment donné, les Américains vont me lâcher! Ou moi, je vais les lâcher!» blague-t-il. 

Trame sonore

Connu pour sa passion pour la musique, qui transpire dans les choix musicaux soigneusement réfléchis de ses œuvres, Jean-Marc Vallée a fait jouer une liste de lecture de son cru en trame de fond de sa conférence à Rouyn. On y a reconnu des pièces qui habitent ses films et ses séries, notamment de Neil Young et de Michael Kiwanuka. 

«Sans m’en rendre compte, je mets de moi dans les personnages par mes choix musicaux», remarque-t-il.

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