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À la manière de Micheline Lanctôt

Une manière de vivre, avec Rose-Marie Perreault et Laurent Lucas, prend l’affiche ce vendredi. Photo: Marlène Gélineau Payette/courtoisie

Micheline Lanctôt soulève de grandes questions dans Une manière de vivre, son plus récent film présenté en primeur samedi au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. 

«C’est quoi, être humain? Comment se comporter? Quelle est la bonne manière de vivre? Y en a-t-il une? Pourquoi fait-on certaines choses Pourquoi n’en fait-on pas d’autres?» se demande en entrevue la cinéaste, rencontrée tout juste après la projection. 

Travailler à ce film à saveur philosophique lui a-t-il apporté quelques réponses? «Ce sont mes personnages qui ont trouvé des réponses… Moi, je n’en ai pas!» lance-t-elle en riant. 

Ses personnages, ce sont Joseph (Laurent Lucas), Colette (Gabrielle Lazure) et Gabrielle (Rose-Marie Perreault). Le premier, philosophe spécialiste de l’œuvre de Spinoza, séjourne à Montréal pour une conférence à son sujet. La deuxième, psychanalyste, est endeuillée par le suicide de son mari. La troisième, la fille de Colette, a abandonné ses études et souffre de boulimie. Tous trois sont en déroute et cherchent – tiens, tiens – une manière de vivre. 

Pour ce faire, les deux femmes se tournent tour à tour vers Joseph, croyant que son expertise professionnelle pourra les aider. Mais «il n’y a pas de manuel expliquant comment vivre», répond-il à une d’elles.  

Et heureusement, commente la cinéaste, car la vie serait bien trop facile sinon.

«On aurait juste à lire le manuel et on serait peinard!» lance-t-elle en éclatant de rire. 

«Tous les philosophes vous le diront: philosopher, c’est poser des questions, et non avoir des réponses, poursuit Micheline Lanctôt. À trop côtoyer Spinoza et son œuvre, Joseph s’est perdu de vue. Il faut qu’il se retrouve. L’électrochoc que Gabrielle lui apporte est ce dont il avait besoin pour repenser sa vie et passer à autre chose.» 

Pour se retrouver, il part en Abitibi, la région où Une manière de vivre a ouvert la 38e édition du Festival du cinéma international samedi. Si la réalisatrice appréhendait la réaction du public – «c’est un film quand même exigeant, qui a son rythme, son contenu, c’est assez substantiel», dit-elle –, elle est sortie soulagée de la première. «Les gens ont ri et réagi, ça m’a fait plaisir, je suis très contente.»

Une manière de vivre est exigeant, car il touche à la pensée de Spinoza, philosophe néerlandais du XVIIe siècle, qui apparaît sporadiquement dans le film, comme s’il guidait les personnages depuis l’au-delà. «Un peu plus comme une figure tutélaire, comme un ange qui essaie de guider les pauvres humains.»

Micheline Lanctôt est fascinée par sa conception avant-gardiste de l’éthique. «Spinoza apporte des réponses absolument formidables. Il est à la mode depuis cinq, six ans… Je pense qu’on est dans un siècle de barbarie. Ce ne sont pas nos politiciens qui nous donnent les meilleurs exemples de morale. Et il n’y a plus de morale religieuse, donc les gens cherchent ce qu’ils peuvent faire.»

Petit résumé: «Pour lui, ce qui nous apporte de la joie est ce qui nous rend meilleurs comme êtres humains, et ce qui nous apporte de la tristesse fait le contraire. Ç’a vraiment du sens, quand on y pense.»

Ce qui a moins de sens, ce sont les écrits en tant que tels du philosophe. «C’est écrit de façon codée», affirme la cinéaste, qui offre un condensé de sa pensée dans son film. «Même là, je réécoutais les extraits où le personnage est cité et je me disais : “Hé merde, qu’est-ce qu’il veut dire exactement?”» lance-t-elle en riant. 

«Il est illisible, mais quand on comprend sa pensée, quand on nous l’explique comme il faut, c’est très apaisant.»


Micheline Lanctôt, à propos de Spinoza

Sans rien révéler, la fin d’Une manière de vivre apporte un début de réponse aux grandes questions que se posent ses protagonistes. Réponse qui passe par l’humanisme. «C’est la reconnaissance que l’autre existe, que l’homme est essentiel à l’homme. Chacun des personnages arrive là quelque part», résume la cinéaste.

Comprendre le monde

Si Micheline Lanctôt tourne des films depuis près de 40 ans, c’est notamment pour nourrir ses réflexions existentielles.

«Si je n’avais pas été en art, j’aurais été en science, ça m’a toujours passionnée. Je lis beaucoup d’ouvrages, je fais beaucoup de recherches sur le cerveau pour essayer de comprendre. J’étais spinoziste bien avant d’avoir lu Spinoza, parce que c’est ma préoccupation première: comprendre le monde.»

Contrairement au métier d’actrice, qu’elle adore au demeurant, le chapeau de réalisatrice lui permet d’explorer ses vastes champs d’intérêt et d’assouvir sa curiosité sans limite. «Mais le cinéma est un métier tellement complexe», laisse-t-elle tomber. 

Et «complexe» est le mot pour résumer le processus de création d’Une manière de vivre. Refus des institutions, contraintes budgétaires, gestion d’imprévus… La cinéaste a dû faire plusieurs sacrifices dans son scénario original pour mener à bien son film. 

Au point où ce pourrait être son dernier, dit-elle, le périple l’ayant épuisée. «Je ne veux plus faire des films dans ces conditions. On dirait que j’ai atteint mon seuil de batailles. J’ai le goût de faire des films, pas de galérer contre de fonctionnaires», dit-elle, déplorant le sous-financement chronique et les problèmes de distribution des films québécois.

Malgré tout, la passion de Micheline Lanctôt pour son métier est contagieuse. Il suffit de l’écouter raconter avec plaisir de multiples anecdotes de tournage, malgré l’heure tardive de notre entretien, pour s’en rendre compte. 

Bien qu’il soit un art exigeant – «il faut connaître la météo, les spectrogrammes de couleur, tous les éléments purement techniques, et par-dessus ça, toute la dramatique, le jeu des acteurs, les choix artistiques, la musique…» –, le cinéma comble toujours la réalisatrice: «J’apprend, j’apprend, j’apprend; plein de choses sur plein d’affaires.» 

Ainsi, malgré les embûches, le septième art est, en quelque sorte, sa manière de vivre.


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