D’Apostrophes, l’émission littéraire la plus célèbre de la télévision à la présidence de l’Académie Goncourt, dont il vient de prendre sa retraite, Bernard Pivot est l’homme qui fit entrer la littérature dans le salon des Français.
Coopté à l’Académie Goncourt en 2004 -il a été le premier non-écrivain à rejoindre la prestigieuse institution-, il en était devenu le président en 2014, avant de se retirer ce mardi, à 84 ans, «pour retrouver un libre et plein usage de son temps».
Ce fou de littérature, défenseur acharné de la langue française et ami sincère des mots, a animé durant 15 ans (de 1975 à 1990) l’émission littéraire Apostrophes qui, chaque vendredi, était suivie par des millions de téléspectateurs.
Vêtu de la blouse grise des instituteurs d’autrefois, Bernard Pivot est aussi celui qui tenta de réconcilier les Français avec l’orthographe en organisant, à partir de 1985, les «Dicos d’or», célèbre championnat d’orthographe qui a remis la dictée au goût du jour.
Cette appétence pour la langue française remonte à loin, expliquait Bernard Pivot en mars 2016 à l’occasion de la présentation de son livre Au secours! Les mots m’ont mangé (Allary Editions).
«Je suis un enfant de la guerre. J’étais réfugié avec ma mère dans un petit village du Beaujolais, et mes seuls livres étaient un dictionnaire et les fables de La Fontaine. La Fontaine me parlait de “zéphyr” ou d’“aquilon”, et Le Petit Larousse me renseignait sur ces mots étranges», avait-il confié.
Une de ses plus grandes fiertés est d’être entré dans le Petit Larousse en 2013.
Amateur de beaujolais
Homme de lettres, au sens propre, il n’a écrit à ce jour que deux romans: L’amour en vogue (1959) et Oui, mais quelle est la question? (2012). En parallèle, il est l’auteur de plusieurs essais, sur la langue française, mais aussi sur ses deux autres grandes passions: le vin et le football.
Né à Lyon le 5 mai 1935 dans une famille de petits commerçants, il a passé son enfance dans le Beaujolais et était connu pour être un amateur éclairé des vins de ce terroir. On lui doit notamment un Dictionnaire amoureux du vin (Plon, 2006) qui fait autorité.
Fou de foot, il est resté fidèle à l’AS Saint-Étienne et à l’équipe de France.
Ces dernières années, il a été très actif sur Twitter avec plus d’un million d’abonnés, partageant ses humeurs et ses vues.
Mais, au-delà de toutes ses activités, c’est en tant que journaliste qu’il aime se définir.
Après un passage au Progrès de Lyon, il entre au Figaro littéraire en 1958. Chef de service au Figaro en 1971, il démissionne en 1974 après un désaccord avec Jean d’Ormesson. L’académicien aux yeux bleus sera néanmoins le recordman des passages dans les émissions littéraires de Pivot.
Des invités inoubliables
C’est le jour de l’an 1967 que Pivot apparaît pour la première fois à la télévision, pour évoquer Johnny Hallyday et Sylvie Vartan…
En 1974, après l’éclatement de l’ORTF, il lance Apostrophes, diffusé pour la 1re fois sur Antenne 2 le 10 janvier 1975. Il fonde la même année avec Jean-Louis Servan-Schreiber le magazine Lire.
Apostrophes devient le rituel incontournable du vendredi soir jusqu’en 1990. Il anime l’émission en direct, introduite par le concerto pour piano numéro 1 de Rachmaninov. On y rit beaucoup, on s’insulte, on s’embrasse… Le public adore et les ventes de livres suivent.
Les géants des lettres se succèdent dans le «salon» de Pivot qui sait créer une intimité avec ses invités et réunir des duos improbables. Il y aura des moments inoubliables: Cavanna taclant un Charles Bukowski ivre, avec un fameux «Ta gueule, Bukowski!», l’interview de Soljenitsyne, de Marguerite Duras ou de Patrick Modiano.
Sagan, Barthes, Bradbury, Bourdieu, Eco, Le Clézio, Badinter, Levi-Strauss ou encore le président Mitterrand seront ses invités. En 1987, il interviewera clandestinement Lech Walesa en Pologne.
Facétieux, il soumet ses invités au «questionnaire de Pivot», inspiré de celui de Proust.
Quand Apostrophes s’arrête, l’infatigable Bernard crée Bouillon de culture, à l’horizon plus large que les livres. L’émission cesse en juin 2001. Le dernier numéro rassemble 1,2 million de téléspectateurs.
Ce passionné de littérature tient régulièrement une chronique dans le Journal du Dimanche.