Dessinateur au trait de génie, Albert Uderzo, est décédé mardi avec la certitude qu’Astérix et ses turbulents amis gaulois, qu’il inventa en 1959 avec René Goscinny, lui survivront longtemps.
«On ne me reconnaît pas dans la rue. Je pourrais passer derrière une affiche sans la décoller. Les personnages peuvent devenir des mythes mais pas nous, leurs pères», disait le co-inventeur du rival mondial de Tintin et de Mickey.
Portant le poids des ans avec prestance et un détachement amusé, Albert Uderzo sera finalement resté un homme peu connu, de caractère réservé et d’allure tranquille, préférant parler de son travail que de lui.
Grand amateur de Ferrari (une vingtaine ont transité par son garage), ce fils d’un couple d’immigrés italiens résidait dans un hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine. Il était riche, grâce aux 370 millions d’albums vendus dans le monde (traduits en 111 langues ou dialectes), une quinzaine de films (animation et cinéma), un parc de loisirs, des produits dérivés par centaines.
La mort en 1977, à 51 ans, du grand scénariste René Goscinny, lors d’un test d’effort effectué pour un bilan de santé, l’affecta beaucoup. Ils ont publié ensemble 24 albums. Grâce à eux, la bande dessinée a conquis le grand public.
Uderzo a ensuite quitté Dargaud, son éditeur historique, pour fonder sa propre maison, les éditions Albert-René, et reprendre le flambeau pour huit Astérix en solo (sans compter les albums anniversaires et de récits courts).
«On ne m’a pas fait de cadeaux. Oui, bien sûr, je souffre d’un complexe Goscinny mais on me le crée aussi», disait-il en référence à la presse jugeant ses albums moins bons que ceux du tandem. Pourtant, ils ont fait un tabac auprès du public.
À l’instar d’Hergé pour Tintin, Albert Uderzo ne voulait pas de nouveaux Astérix après sa mort. Il a finalement changé d’avis. En 2011, souffrant d’un rhumatisme articulaire à la main droite, il passa le relais (en accord avec Anne Goscinny, unique ayant-droit de son père) à des auteurs plus jeunes, tout en suivant de près leur travail, là encore couronné de succès.
«Ma main n’était pas faite pour ce métier, racontait-il. Regardez les patasses que j’ai! Ce sont des mains de charcutier, j’ai de gros os, comme mon père. J’ai encré tous mes dessins au pinceau, ce qui requiert beaucoup d’adresse. J’ai dû miner ma main en travaillant comme ça».
Albert Uderzo en conflit avec sa fille
Né le 25 avril 1927 à Fismes (Marne), Albert nait avec douze doigts. L’anomalie sera corrigée par une opération. Son père était luthier. L’enfance, à Paris, est modeste mais heureuse.
Le jeune homme, qui est daltonien, découvre le dessin à la Société parisienne d’édition qui publie Les pieds nickelés. Après la guerre, il lance des héros comme Belloy l’invulnérable, Flamberge, Clopinard ou Arys Buck, un hercule accompagné (déjà) d’un petit compagnon casqué. Il travaille, entre autres, pour France-Dimanche et France-Soir.
C’est une période de vache enragée: «vivre de la BD était très dur à l’époque, disait-il, et j’ai dessiné une quantité astronomique de planches pour régler les fins de mois».
En 1951, il rencontre Goscinny, début d’une collaboration fraternelle de 26 ans. Ils créent Jehan pistolet le corsaire, puis Oumpah Pah le peau-rouge.
En 1959, dans un HLM de Bobigny, où habite Uderzo, entre cigarettes et pastis, ils inventent un nouvel univers tout en «ix», avec une bande d’irréductibles Armoricains. L’idée proviendrait des séjours en Bretagne pendant la guerre du frère aîné d’Albert, Bruno, désireux d’échapper au STO (Service du travail obligatoire).
Anti-archétype du Gaulois viril, Astérix fait son apparition dans le premier numéro du magazine Pilote en octobre 1959, à la page 20. Le numéro s’arrache. Cette même année, Uderzo crée, avec le scénariste Jean-Michel Charlier, Les aventures de Tanguy et Laverdure, un succès (c’est le frère cadet d’Albert, Marcel, qui s’occupa en partie des couleurs).
En 1961, paraît Astérix le Gaulois, premier album d’une longue série. Rapidement, le dessinateur aux traits si expressifs ne se consacrera plus qu’aux aventures du Gaulois à gros nez.
En 2008, c’est La zizanie, titre du 15e album, qui résume tristement le dur conflit entre Albert Uderzo et sa fille unique, Sylvie. Ils se déchirent autour de la prise de contrôle par Hachette Livre de 60% des éditions Albert-René, dont Sylvie détient les 40% restants. Après sept ans de guerre ouverte et de procédures judiciaires, ils se sont réconciliés en 2014 mais, disait-il, cette affaire «m’a miné».