Huit ans après la création de Un, sa toute première pièce dans laquelle il partageait avec beaucoup d’esprit et d’humour ses questionnements identitaires, Mani Soleymanlou revient aux sources en présentant une nouvelle version de ce solo autobiographique qui a propulsé sa carrière.
Au grand étonnement de Mani Soleymanlou, le texte original de Un a demandé très peu d’adaptation, malgré la dizaine d’années qui se sont écoulées depuis son écriture. «Mon Dieu, ça n’a pas vieilli», lui a-t-on dit lorsqu’il l’a fait lire à l’équipe de l’espace Yoop, plateforme où il performera sa nouvelle mouture accompagné du pianiste Alexis Elina.
«Cette idée de l’autre, de la quête identitaire, de notre rapport au territoire, de ce que ça veut dire d’être Québécois ou immigrant; tout ça, étonnement, on est encore pile dessus», soutient en entrevue le dramaturge, acteur et metteur en scène.
Dans Un, l’interprète de Coco dans C’est comme ça que je t’aime questionne ses identités multiples. Né en Iran, Mani Soleymanlou a vécu à Paris, Toronto et Ottawa avant de poser ses valises à Montréal au début de l’âge adulte.
En France, on le voyait comme un Iranien. En Ontario, comme un Français. Mais c’est à l’École nationale de théâtre du Canada, à Montréal, qu’il s’est le plus senti «comme un gars d’ailleurs, comme un étranger, exilé, perdu, immigrant…» raconte-t-il dans sa pièce.
Après 14 ans au pays, on le considérait toujours comme un nouvel arrivant. «Jamais je n’ai eu à expliquer autant d’où je venais, à justifier mon accent, à décrire mon parcours, dire et redire et redire et redire mon nom de famille.»
Si Mani Soleymanlou – un nom très facile à prononcer soit dit en passant – a très peu actualisé le texte original de sa pièce pour sa représentation virtuelle, c’est qu’il aborde ces questionnements d’un regard très personnel. «Ce que j’ai pu comprendre avec Un, c’est que plus je reste proche de moi, plus ça résonne chez l’autre», dit-il à propos de cette œuvre intime et politique.
Il reste que dans la dernière décennie, plusieurs sujets d’actualité liés à l’identité ont soulevé les passions au Québec. On n’a qu’à penser au débat sur l’appropriation culturelle, à la Loi 21 et au mouvement Black Lives Matter.
«Il y a un peu de ça qui va se retrouver dans la nouvelle version de Un, juste pour m’assurer qu’on soit conscient que les choses ont évolué ET régressé en même temps à ce niveau», précise-t-il.
Du reste, l’acteur aborde davantage ces enjeux sociaux dans son plus récent solo Zéro, créé l’an dernier, qu’il devait présenter en supplémentaires ces jours-ci. «Zéro, pour moi, c’est justement la suite de Un, même si ça s’appelle Zéro et que c’est un prequel.»
«Ce que je fais est très ancré dans l’actualité. L’actualité me donne parfois envie de m’assoir et d’écrire tout de suite quelque chose pour mieux comprendre le monde dans lequel je vis.» -Mani Soleymanlou
De l’art vivant sur écran
Si le propos de Un est toujours criant d’actualité, la façon de le mettre en scène a dû être complètement révisée – pour ne pas dire réinventée –, afin de l’adapter aux mesures sanitaires.
Mani Soleymanlou n’est pas friand des pièces de théâtre en ligne, mais l’espace Yoop permet un contact direct avec le public, qu’il verra par l’entremise d’écrans disposés sur scène. «Là, il y a un semblant de relation, parce que je suis en direct. Si je me trompe, les gens le verront tout de suite. Ça vient raviver le concept de l’art vivant», se réjouit-il.
Le contact avec le public est essentiel pour le comédien, qui prend plaisir à l’interpeller lors de ses représentations. «Mes spectacles sont très frontaux. Je m’adresse carrément aux gens dans la salle, mon regard se promène… Là, c’est sûr que ça va être différent, mais ça fait partie de l’expérience.»
Plusieurs questions étaient toujours en suspens la semaine dernière lors de notre entrevue, durant laquelle la phrase «Je ne sais pas, on va le tester!» a été prononcée plus d’une fois.
«Je ne sais pas, moi, c’est quoi des gens derrière un écran qui me regardent jouer au moment présent. Je ne sais pas c’est quoi ce stress. Je ne sais pas non plus c’est quoi jouer entouré de sept caméras», détaille-t-il.
C’est là qu’entre en scène le pianiste Alexis Elina, qui l’accompagnera tout au long de cette unique représentation de Un. Celui qui ne devait au départ qu’assurer l’ambiance sonore de la pièce y jouera un rôle plus important que prévu.
«On a répété trois heures l’autre jour, et plus je répétais, plus je racontais l’histoire, plus je me tournais vers lui. Finalement, je pense qu’il va être plus présent qu’il le pensait!» lance le comédien en éclatant de rire.
Le pianiste sera un «point d’ancrage» pour Mani Soleymanlou, qui s’enthousiasme en parlant de cette collaboration. «C’est chouette! Ça crée un dialogue. Il est là, il m’écoute. Ça me permet de rebondir, de tenter de clarifier des choses. Ça me fait un malin plaisir et je me demande pourquoi je n’ai jamais eu de pianiste sur scène avant!»
Un bel accident de parcours
Difficile de croire que Un a été écrit «par accident» à l’invitation du Théâtre de Quat’Sous, qui tenait à l’époque les soirées Lundis Découvertes. La révolte de la jeunesse iranienne après l’élection frauduleuse de 2009 a été l’étincelle de sa création.
«Ces jeunes en Iran avaient le même âge que moi, se souvient-il. Ça m’a mis dans la face que, techniquement, j’aurais dû être là avec eux. Mais moi, je suis parti, tandis qu’eux se font tirer des balles dans la rue.»
Avec le recul, Mani Soleymanlou dit éprouver beaucoup de tendresse pour sa première œuvre. «C’est très émouvant de la reprendre, parce que c’est à la base de ce que je tente de construire, théâtralement parlant.»
La beauté de la chose est que l’identité est toujours en mouvement, jamais figée. Tout comme le théâtre, ajoute le dramaturge. «Pour moi, on n’est jamais, on ne fait que devenir. Cette pièce, elle continue à devenir autre chose. Chaque fois qu’on la recrée, elle change, elle se densifie, et moi aussi.»
«Plus je parle de ces thématiques, plus ça aiguise ma pensée. C’est une démarche où j’apprends constamment sur moi-même.» -Mani Soleymanlou
Après Un, Mani Soleymanlou a poursuivi son cycle de création sur l’identité avec les pièces Deux, Trois, Ils étaient quatre, Cinq à sept, 8, Neuf (titre provisoire) et Zéro, toutes produites par sa compagnie Orange Noyée et toutes très bien reçues tant par le public que la critique.
Ce succès a ouvert de nombreuses portes à l’acteur, qu’on a vu récemment au petit écran dans La faille et Épidémie, et qui est de la distribution de la comédie Survivre à ses enfants, attendue en 2021.
«Et je me retrouve l’an prochain à être directeur du Théâtre français du Centre national des arts du Canada», laisse-t-il tomber, comme soufflé par son parcours enviable.
C’est un poste prestigieux qui l’attend en septembre prochain. Brigitte Haentjens, Robert Lepage et Wajdi Mouawad l’ont entre autres occupé avant lui.
L’excitation qu’il ressent face à ce nouveau défi est palpable. «Avoir un poste aussi important, en revenant d’une pandémie – on espère que les salles vont rouvrir d’ici là – pour moi, c’est historique. J’ai envie d’aborder le retour à la normale avec énormément de soif, de rêve et de positivisme. C’est vertigineux, mais ça fait partie du deal : depuis quand un rêve n’est-il pas vertigineux?»
Un
Le 16 décembre à 20 h dans l’espace Yoop