Dans My Salinger Year, Philippe Falardeau explore l’univers littéraire new-yorkais inspiré par l’expérience de l’autrice et journaliste américaine Joanna Rakoff. Pour donner vie au récit, le cinéaste québécois a fait appel à une distribution ambitieuse, dont Margaret Qualley et Sigourney Weaver figurent en tête.
«Je ne voulais pas être ordinaire. Je voulais être extraordinaire.» Voilà en quelques mots la voie empruntée par une aspirante poétesse qui deviendra assistante dans l’agence littéraire de J.D. Salinger, dans le New York des années 1990. Adapté des mémoires de Joanna Rakoff, My Salinger Year relate ainsi cette période de l’existence où le champ des possibles s’offre à nous, confie Philippe Falardeau.
«J’ai été touché dans le livre par ce moment charnière de la vie. Allons-nous faire ce que nous voulons? Ou ce que nous pouvons? Avec du recul, je pense que ce que Joanna Rackoff décrit, ce sont de belles années. Mais pris dans l’instant, les choix ne sont pas toujours évidents faire. Nous sommes souvent en opposition avec ce que nous rêvons de faire et ce qui se présente à nous», explique le réalisateur.
Un peu à la manière d’une fiction coming-of-age, Philippe Falardeau a tout de suite été attiré par «la dimension du passage de la post-adolescence à l’âge adulte», d’où une certaine désillusion émane. «Et surtout du point de vue d’une femme», ajoute celui qui avoue avoir surtout mis en scène des personnages masculins dans ses précédents films.
«Par le passé, une jeune femme qui voulait devenir écrivaine se retrouvait souvent secrétaire ou assistante. Alors que cela aurait sûrement été différent pour un gars, qui aurait mené une vie de bohème dans des cafés. Les embûches sont nombreuses pour les femmes.» -Philippe Falardeau
Femmes déterminées
Ce double standard justement, le personnage de Joanna – brillamment interprété par Margaret Qualley (Once Upon a Time… in Hollywood) – en est pleinement conscient. «Comme elle l’écrit dans une lettre à cette jeune fille qui cherche à avoir un A, il faut qu’elle travaille deux fois plus fort si elle veut être respectée», précise Philippe Falardeau.
«Joanna s’est faite embaucher dans une agence littéraire en croyant que ça allait l’aider pour son inspiration. Mais elle se retrouve finalement à gérer les courriers d’admirateurs de J.D. Salinger. Être auteur, ce n’est pas ça. C’est au contraire l’autre côté d’une clôture, qui est très définie. Elle doit se positionner par rapport à tout ça», poursuit-il.
Dans My Salinger Year, il est aussi question de mentorat avec le point de vue du rôle de l’agente Margaret, joué par une formidable Sigourney Weaver (Alien, Ghostbusters). «C’est loin d’être son but au début, mais elle voit que cette fille a du potentiel. Tout d’un coup, Margaret s’attache à elle. Il y a une relation qui se crée sur le tard. Je m’imaginais bien que beaucoup puissent s’identifier dans cette relation-là.»
Pour Philippe Falardeau, il aurait été facile de faire de la patronne – froide et distante au début – un personnage unidimensionnel qui campe sur ses positions. «Elle est très inflexible, à la limite du caricatural. C’est pour ça que dans le scénario, je voulais me diriger vers une vraie rencontre» avec Joanna.
Le défi de l’adaptation
Comme le souligne le réalisateur, ce passage en particulier fait partie des choses qui ont été fabriquées de toutes pièces pour le long métrage. «L’idée que Joanna se rende chez sa patronne pendant son deuil n’était pas dans le livre. Je me disais cependant que pour le bien du film, il fallait aller là», dit-il.
Lors des trois années et demie «longues et plaisantes» qu’aura duré l’écriture du scénario, Philippe Falardeau a d’ailleurs pu compter sur Joanna Rakoff, la vraie. «Nous nous sommes très bien entendus, et elle est même devenue ma première lectrice!» s’enthousiasme-t-il.
«C’était de sa vie qu’il était question, donc il était essentiel de ne pas trahir certaines choses de base. Elle comprenait la nécessité pour moi d’aller dans la fiction et de créer des liants qui n’étaient pas forcément dans son autobiographie. Elle était très ouverte et m’a encouragé à aller plus loin», détaille ensuite Philippe Falardeau.
Puisque son objectif «était de faire le meilleur film possible», il a notamment fallu trouver le bon équilibre. «Ce qui est délicat, c’est que ce sont des mémoires de quelqu’un qui est vivant. Nous n’avons donc pas eu le choix d’extrapoler certains aspects.»
Et parce que l’enjeu de l’adaptation n’a pas été ce qu’il allait se passer, mais plutôt comment les choses allaient-elles se passer, il était nécessaire de trouver la bonne façon de faire. «Le film est tranquille, doux, lent… et on passe du temps avec quelqu’un sans qu’il y ait de punch, donc c’était un beau défi», se rappelle-t-il.
Et Salinger dans My Salinger Year?
Lorsqu’on lui demande s’il était lui-même un fan de J.D. Salinger, Philippe Falardeau confesse qu’il ne l’avait jamais lu avant de commencer l’ouvrage de Joanna Rackoff. «Je pouvais nommer quelques-un des ses livres et je connaissais un peu sa personnalité. J’avais également déjà écrit une première version du scénario avant de lire L’Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye).»
Face à l’aura d’un artiste aussi imposant que Salinger, «tout était une question d’en parler sans trop en parler, car il ne fallait pas que ça vienne cannibaliser My Salinger Year». Et le cinéaste veut être le plus honnête possible à propos de son film. «Il ne s’agit pas de Salinger, ni de L’Attrape-cœurs.»
Bien sûr, Philippe Falardeau a «beaucoup aimé» cette oeuvre culte, mais «certainement d’une manière différente que [s’il l’avait] lu dans [sa] jeunesse». «Je ne crois pas que je l’aurais aimé au secondaire, car je n’en aurais pas compris la portée, au-delà de la révolte adolescente envers le monde des adultes et celui de façade.»
Lui y voit plus un livre sur la santé mentale, la dépression. «[Holden Caulfield] est un personnage dépressif et c’était avant-gardiste dans ces années-là d’écrire un roman là-dessus», distingue-t-il.
Bien loin de nous déprimer, le film est au contraire jonché d’espoir et de ténacité.
My Salinger Year
En salle et en VSD dès le 5 mars