Une étude de l’UQAM parue récemment dresse un état des lieux sur les inégalités et les enjeux pour les artistes sourds et handicapés. Métro s’est entretenu à ce propos avec les professeurs et coauteurs Véronique Leduc et Mouloud Boukala.
Plus de 80 personnes dans six provinces ont ainsi pris part à ce projet pancanadien dirigé par Véronique Leduc, professeure du Département de communication sociale et publique de l’UQAM, en collaboration avec le Conseil des arts du Canada. Deux ans et demi après son lancement, les chercheurs peuvent désormais proposer des pistes afin d’améliorer les pratiques au sein des institutions culturelles.
En quelques mots, que pouvez-vous nous dire de votre étude?
Véronique Leduc: Notre étude est destinée à la communauté artistique en général, et elle a pour but de favoriser le développement des pratiques d’équité culturelle. Je souhaitais ainsi une recherche pour outiller les artistes et les organismes. Rappelons qu’au Canada, plus d’une personne sur cinq vit avec une incapacité. Cela représente près de 6 millions de personnes. De façon générale, les artistes gagnent moins que le reste de la population, et c’est encore plus le cas pour les artistes sourds et handicapés. Nous avons aussi trouvé qu’il existe au pays des pratiques de démocratisation de la culture, c’est-à-dire qu’on veut donner accès aux arts à des populations qui ont été historiquement marginalisées. Mais les personnes sourdes et handicapées ne souhaitent pas avoir uniquement accès à la culture, elles veulent aussi en être partie prenante. De façon générale, il y a beaucoup de travail à faire pour financer leurs créations.
Mouloud Boukala: J’aimerais préciser que la recherche a été menée en français, en anglais, en langue des signes québécoise (LSQ) et en langue des signes américaine (ASL). La diversité de personnes, la diversité de genre, d’origine ethnoculturelle, mais également la diversité des pratiques (du théâtre à la danse, en passant par la poésie et la musique) a donné un résultat très riche.
Quels obstacles avez-vous réussi à identifier?
Mouloud Boukala: Nous les avons identifiés sous quatre formes: accessibilité, financement, représentation culturelle et communication. Lorsqu’on parlait notamment d’accessibilité avec ces artistes, ils nous disaient qu’ils rencontraient des difficultés pour accéder aux scènes, aux salles, aux répétitions, etc. Par exemple, il ne suffit pas de mettre un interprète LSQ-français pour les personnes sourdes sur un coin de la scène lors d’une pièce de théâtre. Non, il faut que tout cela fasse partie du processus créatif, donc cela prend plus de temps.
Il y a aussi une grande complexité pour obtenir différentes bourses et subventions. On nous demandait souvent comment il fallait faire pour obtenir du financement.
Véronique Leduc: Toujours au niveau du financement, il y a des inégalités entre artistes capacités et ceux qui sont sourds ou handicapés. Si les deux reçoivent le même montant d’aide financière, il ne faut pas oublier que ces derniers devront aussi payer leurs interprètes en langue des signes. Ce qui fait au total moins d’argent pour la création en tant que telle. C’est injuste. Il faut reconnaître que cela se fait de plus en plus de séparer les frais liés à la création et ceux qu’on appelle d’accès.
Un autre problème majeur est celui de la représentation. Où sont les artistes sourds et handicapés à l’écran? On ne les voit pas! Et quand ils sont là, bien souvent, ils sont représentés de façon misérabiliste. Ces artistes veulent justement utiliser l’art pour faire valoir d’autres façons de concevoir le handicap, qui n’est pas une tare.
Je pense d’ailleurs que ces drapeaux rouges levés pourraient permettre une réflexion au sein des institutions pour des changements qui, au final, bénéficieraient à tout le monde.
Qu’est-ce qui vous a marqué lors de vos recherches?
Mouloud Boukala: Ça a été l’une des recherches où la réponse des participants a été la plus enthousiaste que je n’ai jamais connue. Tout le monde voulait y participer. Si on avait eu plus de fonds, ça aurait pu prendre une autre dimension… Comme nous proposons des pistes d’actions, c’est intéressant de voir comment tout cela va évoluer.
Véronique Leduc: Cet enthousiasme est très évocateur. Il faut reconnaître que les personnes sourdes et handicapées ont peu de tribunes pour s’exprimer, on leur demande peu leur opinion… Celles-ci ont pourtant soif de participer à la culture, et de transmettre leur expérience, leurs réflexions. L’important est de faire un premier pas pour envoyer un message d’ouverture et d’inclusion. J’espère que cette recherche encouragera tous les acteurs des milieux culturels à développer des pratiques d’équité culturelle.
La fiche synthèse et le rapport complet avec les pistes d’action et les pratiques exemplaires sont consultables sur le site web du Conseil des arts du Canada.