Culture

Les peintres noirs sont prisés comme jamais sur le marché de l’art

«Red Skull», 1982 de Jean-Michel Basquia

Longtemps sous-estimés, voire ignorés, les peintres afro-américains ont désormais toute l’attention du marché de l’art, comme en témoignent les grandes enchères de printemps à New York, qui devraient voir tomber une série de records.

Il y a évidemment Jean-Michel Basquiat, premier peintre noir tête d’affiche des deux principales ventes de Christie’s et Sotheby’s, respectivement mardi et mercredi, avec chacune une toile estimée aux environ de 50 millions de dollars.

S’annoncent aussi Robert Colescott, qui devrait décupler son record actuel et dépasser peut-être les 10 millions de dollars, ainsi que Norman Lewis, Mark Bradford ou Kerry James Marshall, tous attendus au-delà du million.

Jamais autant d’artistes afro-américains n’avaient été conviés à ce qui reste l’événement biannuel phare du marché de l’art.

«Il y a une appréciation nouvelle et une hausse de la demande, qui se reflètent dans les prix», et dans la visibilité générale de ces peintres, dans les galeries et les musées, explique David Galperin, responsable des prestigieuses ventes de soirée de Sotheby’s à New York.

«C’est une correction», résume le sculpteur afro-américain Sanford Biggers, dont la gigantesque statue Oracle vient d’être inaugurée au Rockefeller Center. «Pendant longtemps, le travail (des artistes noirs) a été négligé, alors qu’il était fantastique.»

Le mouvement citoyen né après la mort de George Floyd a contribué à cette réévaluation, mais elle était déjà largement engagée auparavant, de l’avis général. «La percée date d’il y a cinq ans environ», estime Sherman Edmiston, président de la galerie Essie Green, spécialisée dans les peintres noirs, fondée en 1979. «Ça a été une vraie lutte.»

Il attribue cette percée à une conjonction de facteurs, notamment l’émergence d’une génération de collectionneurs noirs, emmenée par des personnalités influentes.

Le rappeur et producteur Swizz Beatz est souvent considéré comme pionnier, mais P. Diddy, Jay-Z, Pharrell Williams et Kanye West sont aussi aujourd’hui des collectionneurs référencés.

«Le hip-hop était un phénomène culturel et ils ont montré la voie», souligne Sherman Edmiston. «Ils ont créé une tendance.»

À cela s’est ajoutée la transformation du marché de l’art, qui a fait triompher la logique de l’investisseur et de l’argent sur celle du collectionneur.

À mesure que s’asséchait l’offre d’artistes traditionnels, quasiment tous blancs, les portefeuilles se sont tournés vers des créateurs afro-américains, à des prix attractifs. «C’est là que l’art noir a vraiment décollé», selon Sherman Edmiston.

Surchauffe?

Avec leur influence croissante dans le milieu artistique, beaucoup de ces oeuvres y ont fait entrer des sujets qui y étaient quasiment absents jusque-là. Chacun à leur manière, Basquiat, Jacob Lawrence ou Kerry James Marshall ont ouvert une lucarne sur l’«African American Experience», l’existence des Noirs aux États-Unis.

«Une part importante de l’art que nous voyons aujourd’hui n’aurait pas pu exister sans ces artistes», considère Ana Maria Celis, responsable des ventes de soirée chez Christie’s, qui mentionne notamment la peintre américaine Jordan Casteel, 32 ans, parmi les héritiers de ce mouvement.

Si les peintres noirs ne sauraient être considérés comme un ensemble homogène, plusieurs d’entre eux «veulent susciter une discussion potentiellement délicate» et, plus largement, «remettre en question ce que l’art devrait dire ou la façon de le faire», dit-elle.

Le public plébiscite ce nouveau courant d’expression et, depuis trois ans, les records s’enchaînent. L’accélération est telle que les prix atteignent régulièrement plusieurs fois l’estimation initiale, phénomène rare pour des enchères de ce niveau.

«Il y a un côté: si c’est (un artiste) noir, c’est génial», observe Sherman Edmiston. «Si c’est (un artiste) noir, j’achète. Mais il faut qu’il y ait une distinction» entre les oeuvres et les artistes, dit-il.

Pour lui, le marché est même en surchauffe. «C’est mon impression. Mais peut-être que je ne vois pas le potentiel futur, que je rate quelque chose», dit-il dans un sourire. «C’est même probable.»

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