L’ouvrage collectif et illustré Libérer la culotte décortique le sujet mille-feuilles encore ultra tabou et inégalitaire du sexe. Retour sur une conversation affranchie avec les codirectices et autrices Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy.
«[…] On avait des histoires uniques, mais aussi collectives. Ces histoires-là étaient à glacer le sang.» Dans Correspondances jouissives, première partie de Libérer la culotte paru aux Éditions du remue-ménage, Natalie-Ann Roy et Geneviève Morand mettent en garde: les pages à venir ne seront pas toutes roses et écarlates de plaisir, bien au contraire. De la libido à la grossophobie en passant par la santé mentale et les orgasmes, le livre ouvre la brèche des non-dits, s’y infiltre avec audace.
«On veut des conversations bienveillantes et sans reproches. C’est toujours difficile de se remettre en question et d’interroger ses privilèges. Libérer la culotte est donc une invitation à être humble», prévient Geneviève Morand. «Ces discussions doivent être libres de jugements et se faire dans un rapport égalitaire, ajoute Natalie-Ann Roy. Il faut arrêter que les alliés le soient de manière performative. On peut être un vrai allié, et prendre le temps d’écouter et de s’autoanalyser sans tout interpréter comme un affront».
Bien loin d’être manichéens, les récits signés par une trentaine d’«auteurices» – terme épicène employé régulièrement dans le livre dans le but d’inclure autant les femmes que les personnes non binaires – racontent en effet des expériences, parfois dramatiques et parfois lascives, auxquelles beaucoup de lectrices et de lecteurs pourront s’identifier.
Libérer la culotte, mais encore?
Une culotte libérée, qu’est-ce que c’est, alors? «Les gens me font souvent la blague « toi t’as libéré ta culotte », mais en fait, la culotte libérée ce n’est ni la quantité ni l’hypersexualisation», précise Geneviève Morand. La preuve en est avec Quatre mots et un enterrement de Catherine Voyer-Léger qui évoque l’abstinence et rappelle, brillamment, que «personne ne meurt en cessant de baiser». L’asexualité? Fannie Dionne en témoigne puisqu’elle, elle a décidé de ne pas l’enlever sa culotte.
«La décroissance fait partie d’une vie jouissive.»
Natalie-Ann Roy, autrice, illustratrice et codirectrice de Libérer la culotte
Et puis il a ces textes stupéfiants, où Maya Cousineau-Mollen et Caroline Dawson notamment attestent du racisme subi au sein leur sexualité. Les clichés sur les femmes autochtones et les latinas, ça court les rues, ça pullule sur les dating apps. «Une femme racisée est toujours déjà sexualisée et slutshamée» écrit ainsi l’autrice de Là où je me terre.
Nommer les pires maux pour mieux libérer la parole, et établir le dialogue le plus large possible afin d’espérer abolir les oppressions, il en est aussi question en ce qui concerne les violences sexuelles. Rappelez-vous, #MoiAussi, ça n’est pas si loin, et pourtant… Ce qui frappe dans Libérer la culotte, c’est le nombre de fois où sont abordés des faits de viols, d’agressions, de non-consentement, de charge mentale, de dénigrement. Les traumatismes traversent en réalité l’ouvrage.
«#MeToo c’est pas juste eux et nous. Il y a aussi le moi avec toutes ses facettes. Certains pourront remettre en question leurs attitudes peut-être abusives dans des relations passées, tenues pour acquises», mentionne Natalie-Ann Roy. Geneviève Morand poursuit quant à elle: «je pense que le livre donne des résonances et des outils pour toutes les situations».
Les tabous, toujours eux
«Dans le fond, on se retrouve dans des relations inégalitaires, malgré la révolution sexuelle» constate Geneviève Morand. Le questionnement de la révolution sexuelle fait justement partie des prémisses de Libérer la culotte. «On se rend compte qu’on n’est pas rendus là où on pense dans notre belle société. Si c’est encore tabou de parler de masturbation entre deux partenaires, on n’y est pas. Est-ce qu’on est tenu d’avoir un modèle hétéro/cis? Peut-on questionner ces modèles?» soulève Natalie-Ann Roy.
Geneviève Morand se souvient par exemple de ce moment où elle a voulu retirer leurs deux textes sur la masturbation. «Je croyais que ce n’était plus tabou. Mais Natalie-Ann m’a rappelée à l’ordre. Ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde…» dit-elle.
Comme il apparaît dans le livre, Natalie-Ann Roy se remémore avoir été confrontée à des retraits de texte. «C’est ce qu’on dénonce qui nous empêche de dénoncer. L’intime est encore tabou», soutient-elle. Pour sa complice de libération, le combat pour l’égalité entre les sexes commence dans la chambre à coucher. «Le fait que Libérer la culotte existe est pour ça une bonne chose». Geneviève Morand l’affirme.
Celle-ci revoit Caroline Dawson lors du lancement prononcer ces quelques mots, qu’elle embrasse volontiers. «Il faut qu’on arrête d’arracher individuellement des bouts d’égalité dans nos relations. Il faut qu’on en fasse quelque chose de collectif».
En 2021, l’espoir demeure. Comme le confie France Castel, «les hommes sont davantage capables d’avoir ces conversations-là, […] ils sont plus ouverts». «Elle nous reflète les pas qu’on a faits, et nous, on suggère d’en faire pas mal d’autres!» s’enthousiasme enfin Geneviève Morand.