Métro a visité les coulisses du plus vieux théâtre encore en activité au Québec, qui a été le lieu de naissance du féminisme, du journal Le Devoir et de HEC. Pour 2017, l’institution souhaite revisiter son mandat.
À l’entrée du Monument-National, juste à côté de l’imposant escalier de marbre blanc, une plaque rend hommage au fondateur de l’endroit, Laurent-Olivier David, qui était alors président de la Société Saint-Jean-Baptiste et souhaitait dédier un lieu à la gloire du peuple canadien-français. Pas étonnant, donc, qu’on ait inauguré le théâtre du boulevard Saint-Laurent le 24 juin 1893.
Petit à petit, le quartier a accueilli de plus en plus de Juifs et de Chinois. Et le Monument-National a reflété cette diversité en devenant le plus important diffuseur de théâtre yiddish à l’extérieur de New York, et l’endroit où entendre de l’opéra chinois à Montréal.
Plus de 120 ans plus tard, le théâtre est toujours debout. Et alors que l’arrière-petite-fille de Laurent-Olivier David est ministre de la Culture, l’institution souhaite revenir à l’esprit d’origine imaginé par le père d’Athanase David. «Nous sommes encore au stade des consultations, reconnaît Stéphanie Brody, porte-parole de l’École nationale de théâtre, propriétaire des lieux. Nous voulons en faire un milieu de vie davantage qu’un seul lieu de location. Nous souhaitons nous tourner vers nos riverains, notre communauté.»
Avant le 375e anniversaire de Montréal, en 2017, le Monument-National devrait donc présenter son nouveau plan. D’ici là, nous avons voulu en savoir plus sur le riche passé du bâtiment.
On avait de grandes ambitions pour la nation canadienne-française, à la fin du XIXe siècle. Devant le Monument-National, la place de la Paix devait s’étirer jusqu’à la rue Saint-Denis, où aurait dû se trouver l’Opéra-National. Le grand boulevard ainsi créé entre l’opéra et le Monument-National aurait fait office de Champs-Élysées montréalais. Mais le projet n’a jamais abouti. Déjà, L.-O. David a eu dû mal à attirer les fonds nécessaires pour son Monument-National. Malgré le financement obtenu grâce à une loterie populaire, il a dû retourner à la planche à dessin. Exit, les sculptures sur la façade et les terrasses pour admirer les parades de la Saint-Jean-Baptiste. Pour financer le projet, on avait aussi prévu des commerces à l’avant. Les six fenêtres de la façade évoquent ce projet qui n’a jamais vu le jour.
Une salle polyvalente
La salle Ludger-Duvernay a été complètement restaurée pour la réouverture du Monument-National en 1993, après que le bâtiment eut été menacé de destruction à de nombreuses reprises à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Les 170 étudiants francophones et anglophones de l’École nationale de théâtre s’en servent pour présenter leurs productions. Plus petite que la salle d’origine qui comptait 1 600 places, elle a conservé son plafond d’origine et ses sièges centenaires. Durant les premiers temps du Monument, les bourgeois y entraient par Saint-Laurent alors que le peuple passait par la ruelle, pour que les classes ne se croisent pas. Mais comme le Monument-National célébrait leur langue française commune, on finissait toujours par se mêler d’une façon ou d’une autre, explique le guide Marc-André Lapointe. De grands noms québécois comme Gratien Gélinas, Alys Robi et Olivier Guimond s’y sont produits, mais ses murs ont aussi vu des vedettes internationales comme Charles Trenet et Édith Piaf. C’est ici aussi qu’est né le Congrès juif canadien, et David Ben Gourion y a fait un discours.
Un lieu de production unique
Le Monument-National compte un atelier de costumes et un atelier de décors où une poignée d’employés supervisent le travail des étudiants du volet production de l’École nationale de théâtre. C’est dans l’atelier de décors que se trouvait autrefois la scène du théâtre burlesque Starland, un théâtre où s’est produit Olivier Guimond fils alors que son père était sur scène de l’autre côté de la rue.
Un sous-sol plein d’histoire
Au sous-sol du Monument-National, on trouve aujourd’hui le Studio Hydro-Québec, une salle intime qui peut accueillir jusqu’à 150 personnes. Aucune trace de l’Éden, un musée de cire et cinéma qui a occupé les lieux et dont on a fait état dans la série télévisée Musée Éden. On y présentait des scènes de crime célèbres et des vignettes historiques. Quand Yves Duceppe était étudiant à l’École nationale, au début des années 1980, l’Éden avait disparu, mais celui qui est aujourd’hui directeur technique du Monument ne se rendait jamais au sous-sol glauque et «plein de bibittes» seul. Yves Duceppe, dont le célèbre père Jean a joué sur les planches du théâtre, parle aussi de tuyaux qui claquent et de bruits étranges. Certains étudiants attribuent encore ces phénomènes étranges au fantôme de la grande Sarah Bernhardt, qui aurait dû se produire au Monument-national en 1905, mais qui, pour des raisons d’argent, a finalement joué au Théâtre Français, situé à cinq minutes de marche de Monument.
Le Monument-National a été fondé par des catholiques libéraux, qui voyaient d’un bon œil la séparation entre l’État et le clergé et qui prônaient l’éducation pour tous. Pas étonnant si c’est ici, dans le salon rouge du deuxième étage, qu’Henri Bourassa a fondé Le Devoir et que Marie Gérin-Lajoie a mené le mouvement féministe des Dames patronnesses. C’est ici aussi que la Polytechnique, les HEC, l’École des beaux-arts et le Conservatoire d’art dramatique ont pris racine.