Mariana Mazza rêvait d’écrire un livre. Avec l’autobiographique Montréal-Nord, premier tome d’un triptyque en devenir, l’humoriste plébiscitée aux multiples talents artistiques nous entraîne dans le quartier de son enfance — ses centres communautaires, ses ruelles, ses entrées de garage — aux côtés de familles immigrantes comme la sienne.
Elle dévoile dans ce livre toute son hypersensibilité, un « trop-plein inexplicable » qui l’habite d’ailleurs encore à ce jour, confie l’autrice de 32 ans à Métro, au sortir d’une présentation de projet à Radio-Canada. « L’exprimer m’a permis de l’accepter. »
Elle a mis un an et demi à retrouver les moments signifiants de son enfance, qu’elle a triés sur le volet avant de les raviver à l’écrit. « Ils devaient m’avoir fait avancer, m’avoir fait réaliser des choses, m’avoir touchée. Ils ne sont pas juste futiles », précise-t-elle.
Cette forme fragmentaire lui est venue en lisant Là où je me terre de Caroline Dawson, qu’elle a d’ailleurs sollicitée en cours de parcours. « J’avais fait lire un passage à Caroline où je me rongeais les ongles et celui où quelqu’un disait que ma mère était serveuse nue. Elle m’a dit : “Ce passage-là est intéressant parce qu’il t’a fait vivre quelque chose. Te ronger les ongles, ça t’a fait vivre quoi?” »
Écrire un livre accessible
L’autrice ne s’en cache pas : elle ne prétendait nullement à « faire de la grande littérature » en écrivant ses souvenirs. Ce qu’elle souhaitait avant tout, outre se « libérer de certaines affaires », c’était proposer une lecture agréable, distrayante et, surtout, à la portée de tous les types de lecteur.trice.s. « C’est parfait pour des gens qui ne sont pas habitués à lire ou à qui une brique fait peur », illustre celle qui raffole de la lecture depuis l’enfance.
Ses tranches de vie s’échelonnent sur quelques pages seulement, ce qui permet d’interrompre la lecture et de revenir au livre sans crainte de perdre le fil. « Tu peux lire deux pages, mettre ton signet, lire le livre en un mois, deux mois, deux jours. C’est le fun que ce ne soit pas continu, de ne pas avoir à se rappeler ce qui s’est passé », relève-t-elle.
En ce sens, des descriptions interminables, très peu pour Mariana, qui implante avec concision les décors, privilégiant de surcroît un vocabulaire n’aliénant personne, « sans prendre les gens pour des cons, ni penser que tout le monde a un diplôme universitaire en français », illustre-t-elle.
Bien sûr, l’autrice n’a pas foutu l’humoriste à la porte. Or, son humour est disséminé au détour d’un mot frondeur, d’une chute de phrase rigolote.
Ainsi, pour relater cette fois où, verrouillée hors de son appartement avec ses enfants, sa mère téméraire s’est balancée d’une étroite fenêtre de cage d’escalier intérieur à leur balcon, Mariana écrit: « Elle a réussi à monter sur le balcon. J’ai compris à ce moment que rien ne lui faisait peur. Aussi, qu’elle était complètement cinglée. »
Il demeure peu probable qu’en lisant, vous entendiez Mariana réciter ses souvenirs en mode stand-up — et c’est ce qu’elle voulait, afin que chacun puisse se rattacher à ce qu’elle a vécu. « Il y a une différence entre moi sur scène et moi dans le livre; je voulais que les gens me reconnaissent, mais pas trop », explique-t-elle.
Legs à sa mère
En entrevue, impossible de ne pas aborder sa mère, l’attachante Sonia, extravagante à sa façon, qui « prend le danger calmement ».
Cette femme née au Liban, qui a quitté le Venezuela pour Montréal, qui réfléchit en arabe, parle en espagnol et roule ses « r » en français comme Dalida, occupe une place prééminente dans le livre, tout comme dans la vie de Mariana, aujourd’hui encore.
Moult souvenirs s’articulent autour de Sonia, qui a élevé seule Mariana et son frère après que leur père, alcoolique, fut reparti dans son Uruguay natal. L’autrice a également eu cette idée fort divertissante d’insérer de francs tête-à-tête entre mère et fille, qui font glousser.
Je voulais qu’elle ait cette place, mais sans l’instrumentaliser. C’est un legs à ma mère. C’est énorme, ce qu’elle a vécu. Je pleurais tout le temps, petite fille, et elle me disait : “Pourquoi tu pleures? Tu ne manques de rien.” Oui, comparativement à elle, je ne manquais de rien. Mais moi, c’était à l’intérieur qu’il se passait de quoi; elle, c’était à l’extérieur.
Mariana Mazza
Vers le triptyque
Nous retrouverons sa mère avec bonheur dans les prochains tomes de sa trilogie, nous assure Mariana, qui a amorcé l’écriture du deuxième, consacré à son adolescence dans Rivière-des-Prairies.
On découvrira notamment des gens qui ont gravité autour de son père, mort lorsque Mariana avait 15 ans. Elle s’envolera en Uruguay à la rencontre de cette famille dont elle ne connaissait rien.
Le troisième, quant à lui, se penchera sur sa vie de jeune adulte, mais que l’on ne s’attende pas à découvrir les coulisses de sa carrière d’humoriste, prévient Mariana.
Pour l’instant, une foule de projets occupent déjà l’artiste, particulièrement fière de s’être autant investie dans l’écriture de Montréal-Nord. « L’aboutissement d’un show d’humour, je sais ce que c’est, ça fait 10 ans que je fais ce métier-là. Mais l’aboutissement d’un livre, je ne savais pas ce que ce serait », conclut-elle.