Avec Kerouac, 100 ans sur la go!, l’Espace libre célèbre l’œuvre de Jack Kerouac, porte-étendard de la Beat Generation, durant trois fins de semaine d’activités artistiques foisonnantes, du 21 avril au 7 mai.
En plus de faire (re)découvrir l’auteur de l’iconique roman On the Road, les festivités ravivent l’esprit effervescent de cette génération post-Seconde Guerre mondiale, « des dissidents, des baveux, des p’tits câlisses et des p’tites tabarnack qui ont envie de casser la baraque », image avec vivacité en entrevue avec Métro Jean-Marc Dalpé, codirecteur artistique de l’événement aux côtés de Guillaume Martel LaSalle, Daniel Brière et Alexis Martin.
« C’est une invitation à venir faire le party avec du monde ben, ben le fun! On va faire les fous et les folles! », jubile l’homme de théâtre qui signe la réécriture de Rome à l’affiche de l’Usine C.
Cabaret et traduction libre
En soirée, l’heure est au cabaret-spectacle, animé par Joanie Guérin et Didier Lucien, où se produit une pléiade d’artistes variant d’un soir à l’autre, dont Ariane Moffatt, Webster, Coco Belliveau, Frannie Holder et Jean-Paul Daoust.
Le cabaret met toujours en scène des artistes locaux différant selon la ville où vagabonde Kerouac, 100 ans sur la go! L’équipe de création souhaite que l’événement, qui a déjà été présenté à Rouyn, mette le cap sur le plus de municipalités en Amérique du Nord, fait savoir Jean-Marc.
Dans le cadre des activités diurnes, le public est convié à une mini-exposition de photos et de textes sur l’univers de Kerouac, né Jean-Louis Lebris de Kérouac de parents canadiens-français (comme l’on disait jadis) du Bas-du-fleuve. L’expo « donne des idées sur la matière, sur le pourquoi on fait tout ça », explique Jean-Marc.
L’on peut en outre traduire soi-même — sur des machines à écrire, de surcroît! — les mots de Kerouac dans le cadre d’un atelier d’imprimerie publique, animé par Salomé Corbo et Jacques L’Heureux. Une authentique presse d’imprimerie in situ immortalise ensuite ces traductions dans un petit recueil.
Mal à sa langue
Un jour, Jean-Marc Dalpé s’est retrouvé à jaser de l’œuvre de Kerouac avec Guillaume Martel LaSalle… et à « pester contre les traductions franco-françaises! », relate-t-il. De cette indignation partagée a pris racine le projet Kerouac, 100 ans sur la go!
C’est par le roman culte On the Road, lu en version originale, que Jean-Marc Dalpé s’est initié à la fin de l’adolescence à Kerouac, avant d’engloutir d’autres romans de l’écrivain perçu comme étant « excentrique, un peu fou ».
« Son énergie — je vais me limiter à ce mot-là —, le niveau de langue, ça m’a transpercé », raconte le dramaturge d’origine franco-ontarienne, élevé en français et en anglais… à l’instar de Kerouac. « Jack, c’était Ti-Jean », rappelle-t-il. C’est dire combien la dualité linguistique de Kerouac résonne chez Dalpé, profondément marqué dans cette perspective par le livre Jack Kérouac – Essai-poulet de Victor-Lévy Beaulieu, « qui souligne le lien entre l’écriture de Kerouac et la langue francophone de l’Amérique, notamment québécoise ».
Kerouac, « quel auteur extraordinaire avec beaucoup de couches et de sensibilités. Et il y a la franco-américanité. Son débat entre l’anglais et le français, ça me touche en tant que Franco-Ontarien, comment on deal avec cette dualité linguistique intérieurement. »
En se souvenant du moment où il a lu la traduction française d’On the Road, Sur la route, Jean-Marc laisse échapper une série de borborygmes. « Ça m’a donné le haut-le-cœur, le mal de mer! », s’esclaffe-t-il.
« J’ai eu mal à ma langue de lire ces traductions qui passent par la France et qui n’ont rien à voir avec l’énergie de la langue de cette Amérique post-Deuxième Guerre mondiale, des routes, de la drogue, des fêtes, du jazz… C’est une langue qui mérite d’être traduite dans un français qui vient d’ici plutôt que de passer par les Champs Élysées. »
Génération révoltée
Au-delà de Jack Kerouac, la fête en l’honneur de son 100e anniversaire de naissance constitue aussi l’occasion de célébrer la fougue qui embrasait la Beat Generation.
« C’est une jeune génération emprisonnée dans une Amérique straight de cheveux rasés propres, l’Amérique de banlieues cossues, des traditional wifes… qui reviennent même à la mode, j’ai lu des trucs là-dessus. My god, ça n’a pas de bon sens! Ça m’horripile! »
Ces artistes, qui vivaient au rythme du jazz et du be-bop, « cassaient la baraque de toutes sortes de façons. Ils ont ouvert la voie à une nouvelle parole », affirme Jean-Marc Dalpé, rappelant que leur révolte a précédé les violentes émeutes de Stonewall et les années 1960.
« Ils ont voulu casser l’esthétique un peu vieillotte qui dominait. Ils avaient des héros comme Charlie Parker ou Dizzy Gillespie, ils étaient dans l’improvisation, la spontanéité, l’action painting. On peut aussi faire un lien ici au Québec avec la gang du Refus global. »
Malgré l’enthousiasme que lui inspire cette bande à l’avant-garde, notamment sur le plan des genres et de la sexualité — William S. Burroughs et Allen Ginsberg comptant parmi les premiers écrivains à traiter d’homosexualité —, Jean-Marc Dalpé n’occulte en rien les parts sombres de la Beat Generation, gangrenée par le machisme ambiant et la drogue.
« L’époque étant ce qu’elle est, l’accent a été mis sur les hommes », mais nombre de femmes poètes « se sont reconnues dans ces voix de rebelles », affirme-t-il, citant Ruth Weiss et Diane di Prima.
Et Kerouac, 100 ans sur la go! « ouvre la porte à toutes les paroles », conclut Jean-Marc Dalpé.
« Ça invente en grand, on se lâche lousse! T’as envie de faire quelque chose, go for it! […] Ce qui sort de là, c’est parfois un peu rough, un peu tout croche, mais il y a l’énergie de la jeunesse, l’envie de créer, de casser la baraque. »