Malgré les nombreux stéréotypes qui subsistent, quelles stratégies les femmes peuvent adopter pour réussir en affaires? Voici une analyse de Louise Champoux-Paillé et Anne-Marie Croteau, de l’école de business John Molson à l’Université Concordia.
ANALYSE – Les femmes doivent-elles se masculiniser pour réussir en affaires? Les stéréotypes demeurent-ils aussi persistants et perturbateurs de carrière? Et comment se comparent les gestionnaires québécoises par rapport aux Européennes?
Au début de 2020, le Women Initiative Foundation, en partenariat avec l’École de gestion John Molson de l’Université Concordia, le laboratoire de leadership et d’innovation au féminin de l’Université Stanford, et la CentraleSupélec de l’Université Paris-Saclay, entreprenait une enquête unique sur les stéréotypes et les discriminations dans le milieu des entreprises. Elle a sondé des dirigeantes et des dirigeants européens et québécois travaillant dans sept grands groupes en France, en Allemagne, en Italie et au Québec et ayant un rayonnement international.
Respectivement doyenne de l’École de gestion John Molson et experte depuis plusieurs décennies de la place des femmes dans les hautes sphères du milieu des affaires, nous souhaitons partager les résultats de cette enquête sous son volet québécois, tout en jetant un regard croisé sur la situation européenne.
Les femmes développent un style de leadership qui leur est propre
L’une des questions de cette enquête visait à déterminer si les femmes dirigeantes étaient plus dures que les hommes dans leur façon de gérer. Sont-elles plus sévères envers leurs collègues féminines ? Sont-elles plus carriéristes que les hommes ? Doivent-elles mettre de côté leur vie familiale pour atteindre leurs objectifs professionnels?
En d’autres termes, et en faisant référence aux stéréotypes généralement reconnus, les femmes se masculinisent-elles pour réussir ?
L’enquête nous révèle que peu de répondants québécois féminins (24 %) ou masculins (17 %) pensent que les femmes dirigeantes se masculinisent pour progresser dans leur carrière. En Europe toutefois, ce sont 46 % des femmes et 47 % des hommes qui partagent cet avis.
Ce faible sentiment de masculinisation des femmes dirigeantes québécoises est particulièrement important à signaler, car il évite que certaines dirigeantes ne deviennent des repoussoirs plutôt que des modèles pour les autres femmes. Loin de renier leur féminité, les résultats de cette étude semblent indiquer que les femmes développent un style de leadership qui leur est propre.
Des stéréotypes encore très persistants
La comparaison des résultats de part et d’autre de l’Atlantique permettent de constater que les stéréotypes sont toujours aussi persistants et perturbants pour l’évolution des carrières féminines.
Tant en Europe qu’au Québec, les femmes sont stéréotypées avec des compétences associées à des fonctions de soutien (rigoureuses et à l’écoute) et les hommes à des fonctions de pouvoir (politiques, leaders et carriéristes). Plus particulièrement en regard des stéréotypes associés aux dirigeants, les femmes sont perçues comme organisées, leaders et rigoureuses, alors que les hommes sont décrits comme politiques, carriéristes, stratèges et leaders.
Ici encore, les hommes sont considérés comme dans l’action et tournés vers leur évolution de carrière (carriéristes et stratèges) alors que les femmes sont perçues comme plus passives et moins ambitieuses. Ces stéréotypes expliquent dans une grande mesure le plancher collant et le plafond de verre vécus par tant de femmes depuis plusieurs années et la quasi-absence de femmes PDG dans nos grandes entreprises canadiennes. Le plancher collant est l’expression illustrant la difficulté qu’ont les femmes à être promues au début de leur carrière et de gravir progressivement les échelons. Quant au plafond de verre, c’est une expression qui désigne les freins invisibles à la promotion des femmes dans la haute sphère de nos organisations.
Des perceptions sur les inégalités très différentes
Il existe une forte différence dans la perception qu’ont les femmes et les hommes en regard de l’engagement de leur employeur en matière de diversité et d’équité.
Les hommes ne semblent pas être aussi conscients des inégalités et de la discrimination que peuvent subir les femmes dans leur environnement de travail. Tant au Québec qu’en Europe, ils accordent ainsi une notation supérieure à leur entreprise sur les plans de la valorisation de la diversité, de la lutte contre les discriminations et les mesures en faveur de la mixité.
Deux réponses intéressantes à souligner pour illustrer ce décalage de perception: seuls 10% des participants québécois à l’étude estiment qu’ils sont mieux payés que les femmes à compétences égales, alors que 44% des participantes québécoises pensent l’inverse ; et les participants québécois sont deux fois moins nombreux à entendre des plaisanteries sexistes au bureau.
Toutefois, si les Québécoises ont une perception plus favorable de la présence d’une culture égalitaire dans leur milieu de travail que les Européennes, elles sont néanmoins près de la moitié à percevoir un manque d’équité dans les promotions internes et des difficultés d’accès aux postes de direction. Interrogées plus particulièrement sur les difficultés d’accès aux postes de direction, plusieurs ont mentionné les discriminations institutionnelles qui les obligent à faire davantage leurs preuves et les conduisent à s’autocensurer ou à se dévaloriser.
Les hommes doivent être mieux sensibilités aux inégalités
Ce net décalage de perception sur les discriminations sexistes dans le milieu du travail soulève des inquiétudes puisque les postes de haute direction sont majoritairement occupés par les hommes.
Étant moins conscients des difficultés rencontrées par leurs collègues féminines, ceux-ci peuvent être moins enclins à mettre de l’avant des politiques et des stratégies pour favoriser un accès plus égalitaire aux postes de direction. Il est donc impérieux que ceux-ci soient sensibilisés et prennent conscience des obstacles vécus par les femmes.
Cette enquête montre que les stéréotypes, les freins systémiques et les pratiques discriminatoires perdurent davantage dans la société européenne que québécoise. Il n’en reste pas moins qu’un long chemin reste à parcourir. Les programmes de diversité, d’inclusion et d’équité mis de l’avant par nos entreprises canadiennes et québécoises et intégrées dans leur stratégie de développement peuvent faire une différence importante pour l’avancement des femmes dans leur carrière. En France, notamment, cette approche est émergente.
Ces initiatives de nos entreprises méritent d’être encouragées et renforcées puisqu’elles ont fait leurs preuves, surtout lorsque nous nous comparons aux Européennes. Les dirigeantes québécoises, comme l’écrivait dans Le Monde récemment Martine Liautaud, présidente de la Women Initiative Foundation, «sont plus combatives que leurs consœurs européennes plus déterminées, plus fières enfin de leur réussite, et tout cela sans avoir à se renier».
Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice de l’école de business John Molson à l’Université Concordia et Anne-Marie Croteau, doyenne, école de business John Molson à l’Université Concordia.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.