En deux ans, la pandémie a créé un sacré bordel dans le marché du travail. Certains secteurs ont été particulièrement touchés, ce qui a entraîné des congédiements et de nombreux changements de carrière. Mais alors qu’une pénurie de main-d’œuvre «aigüe» touche l’ensemble des secteurs et des régions du Québec, vous vous posez sûrement la question suivante: vers quels domaines les gens se sont-ils tournés? Métro fait le point.
Comme le confirme Yves Blanchet, chercheur à l’Observatoire compétences-emplois (OCE) et chargé de cours à l’Université de Montréal, ce sont surtout le domaine de la santé et les secteurs de la restauration, de l’hébergement et du commerce de détail qui ont connu des départs importants de leurs travailleur.euse.s.
Ainsi, même si une pénurie de personnel sévissait déjà dans ces domaines avant la pandémie, celle-ci s’est fortement aggravée depuis. Selon Statistique Canada, le taux de postes vacants dans les hôpitaux et les soins de santé a été multiplié en moyenne par 1,5 entre le premier trimestre de 2020 et le début de l’année 2022. Même chose pour les magasins de vêtements ou d’alimentation, tandis que dans la restauration et l’hébergement, ce taux a plus que doublé en l’espace de deux ans.
Cette aggravation de la pénurie s’explique par plusieurs facteurs, selon Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
«Le vieillissement de la population et la baisse du nombre d’immigrés font en sorte que le bassin de personnes dans la population prêtes à travailler baisse. Mais dans ces secteurs, les conditions de travail sont un facteur important qui explique que les gens se sont dirigés vers d’autres emplois», précise-t-elle.
Horaires atypiques, travail exigeant physiquement… à ces conditions s’ajoutent une charge émotionnelle dans le domaine de la santé et des salaires peu élevés dans la restauration, soit autant de raisons de partir.
Les domaines en croissance
La pandémie a donc surtout été la goutte de trop, croit Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration à l’Université TÉLUQ. Les conditions de travail des employé.e.s de la santé se sont encore détériorées et les autres ont été mis.e.s à pied quand les commerces non essentiels ont dû fermer.
«Les multiples fermetures des commerces et la PCU ont permis aux gens de prendre le temps de réfléchir à leurs conditions de travail, de se réorganiser sur le plan personnel et professionnel», renchérit Yves Blanchet qui souligne que PCU et pénurie de main-d’œuvre ne sont pas corrélées.
Aucune étude ne permet encore de dire avec certitude vers quels secteurs toutes ces personnes se sont tournées, mais il est probable que plusieurs d’entre elles soient allées vers les emplois qui sont les plus attractifs en ce moment.
Les 5 plus gros moteurs de croissance de l’emploi au Québec*
- Les administrations publiques (+37 800; +15,8%)
- Les services professionnels, scientifiques et techniques (+28 500; +8,2%)
- L’enseignement (+20 200; +6,3%)
- La finance, les assurances, les services immobiliers et de location (+17 600; +7,0%)
- La construction (+14 700; +5,3%)
*D’après les informations fournies par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale pour la période allant de février 2020 à juillet 2022.
«On suppose que les gens qui étaient dans le service, en restauration ou en magasin se sont tournés par exemple vers d’autres types de services comme la téléphonie ou le e-commerce, explique Diane-Gabrielle Tremblay. On constate aussi que les secteurs qui ont progressé sont ceux qu’on appelle les services professionnels scientifiques et techniques.» Cette catégorie regroupe les métiers de l’informatique, des jeux vidéo, ou de la recherche en laboratoire notamment.
Les travailleur.euse.s de la santé qui ont quitté leur emploi se seraient dirigé.e.s vers des métiers connexes, par exemple dans l’administration des établissements de santé ou les laboratoires, estime la spécialiste en sociologie du travail.
Retour à l’école?
Dans bien des cas, ces réorientations professionnelles ont pu nécessiter un retour sur les bancs d’école, où les travailleur.euse.s ont pu acquérir de nouvelles compétences.
Yves Blanchet estime qu’environ le tiers des travailleur.euse.s qui ont quitté leur domaine d’emploi ont entrepris un retour aux études ou une formation depuis le début de la pandémie, en vue d’accéder à des emplois plus payants ou avec de meilleures conditions de travail.
«Dans la restauration et la vente en magasin, les jeunes étudiant.e.s ont aussi pu décider de quitter leur emploi pour se consacrer entièrement à leurs études», ajoute-t-il.
Mais, en raison du nombre important de postes vacants dans tous les domaines, un autre tiers se serait tourné, selon lui, vers des emplois qui ne nécessitent pas de longues formations universitaires.
«Certains sont allés vers des métiers qu’ils considèrent comme plus intéressants et plus payants, mais qui ne demandent pas forcément un niveau d’études élevé, comme dans la construction ou le secteur manufacturier par exemple. Comme la main-d’œuvre se fait rare, on peut aussi imaginer que les employeurs sont parfois prêts à former de nouvelles recrues sur le terrain», explique-t-il.
Enfin, le dernier tiers ne serait pas revenu sur le marché du travail ou, s’il l’a fait, ce serait de façon sporadique. «Pour les profils plus âgés, ça peut s’expliquer par des raisons de santé puisqu’on parle de métiers exigeants physiquement. Il peut aussi y avoir des raisons familiales, notamment pour les femmes, sur qui les responsabilités familiales reposent souvent, précise-t-il. Et puis, il y a des personnes qui sont encore en réflexion quant à leur avenir professionnel et qui hésitent à retourner dans l’emploi qu’elles occupaient avant la pandémie.»