Le patron est infaillible et semble toujours en contrôle? Il est peut-être réellement surdoué et talentueux, ou peut-être a-t-il recours à des béquilles chimiques.
L’abus de médicaments sous ordonnance dans un contexte de travail est un phénomène de plus en plus courant.
Certains auteurs français se penchent sur ce qu’ils appellent le «dopage» des cadres. Ils en font même une spécialité. En décembre dernier, un article sur le sujet paru dans le quotidien français Le Monde a beaucoup fait jaser. Philippe Rodet, médecin et fondateur du cabinet Bien-être et entreprise, y indiquait: «Les plus touchés sont [les cadres] qui travaillent au sein de grandes entreprises et les dirigeants de PME.» Il s’inquiétait aussi des effets à long terme de l’utilisation de ces médicaments. Tricher au sujet de ses capacités véritables une semaine, peut-être, mais les cadres «ne peuvent pas tricher pendant cinq ans».
Si les problèmes de toxicomanie comme l’alcoolisme et la dépendance à la cocaïne ou à la marijuana sont davantage connus et documentés, l’usage de psychostimulants (le Ritalin, par exemple) ou de tranquillisants est peu rapporté. C’est que leur utilisation est discrète, légale et que ces produits sont souvent vendus sous prescription, puisqu’ils sont conçus pour soigner des troubles réels. Ils apparaissent donc comme des moyens légitimes d’atteindre certains objectifs.
Là où l’expérience dérape, c’est quand le patient augmente les doses sans avis médical ou obtient des pilules sans prescription sur le marché noir. Si le travailleur se met à prendre des médicaments pour tenir le coup ou performer, et non plus dans un but thérapeutique, le «dopage» commence.
Le psychiatre français Michel Hautefeuille accuse d’ailleurs la culture de la performance d’être responsable de ces excès. Déjà en 2008, dans la revue spécialisée L’information psychiatrique, il faisait une comparaison révélatrice: «Tel le sportif de haut niveau qui ne peut assurer sa charge de compétition sans le recours à certaines substances, le salarié ne pourra répondre aux sollicitations de son quotidien sans l’apport de ces produits, sans ce dopage au quotidien.»
Qu’en est-il du Québec ?
Au Québec, l’utilisation des smart drugs, nom donné en référence à leurs effets sur la performance intellectuelle, a été décriée davantage chez les étudiants que chez les travailleurs. Une tendance à la banalisation de ce type de médication est toutefois difficile à nier, il suffit de savoir que le Canada se classe au troisième rang des pays de l’OCDE pour l’utilisation d’antidépresseurs.
Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (CCSA) considère aussi que l’abus de médicaments sur ordonnance est un phénomène grandissant. Parmi la liste des médicaments couramment utilisés à mauvais escient, on retrouve les substances identifiées par les experts français: Ritalin, Concerta, Adderall, Dexedrine, benzodiazépines, Valium, Ativan, Xanax, etc.