Un Ben Saïd ou un Aboubacar a moins de chances d’être embauché qu’un Léger ou un Tremblay. Devant cette discrimination à l’embauche, l’idée du CV anonyme a surgi. Le recruteur serait plus impartial dans l’évaluation des candidats. Un vœu pieux selon plusieurs.
Une étude de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse réalisée en 2012 pose un constat sans appel : «À caractéristiques et à compétences égales, un candidat au nom de famille québécois a au moins 60% plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine», peut-on lire sur le document.
Devant ce phénomène, plusieurs vantent les vertus du CV anonyme. En France, il est maintenant obligatoire pour les entreprises de 50 employés et plus de respecter l’anonymat des CV. Le département de l’Essonne, dans le nord de la France, l’a mis en application. Pendant six mois en 2014, le conseil général a recruté des agents sans mention de nom, de sexe, d’âge ou d’origine sur la candidature. Résultat: le système est efficace, mais pas totalement. Les personnes au prénom jugé discriminant ont eu 32 % plus de chances d’être convoquées en entrevue et 36% de plus d’être embauchées.
L’exemple de l’Essonne est particulier cependant, puisque l’employeur a mis en place un dispositif pour recevoir ces CV anonymement. En Allemagne et en Belgique, l’expérimentation semble positive, mais pas assez concluante aux Pays-Bas, en Suisse ni et Suède pour modifier la loi.
Peu de recruteurs québécois reçoivent d’ailleurs des CV complètement anonymes. «Ça ne m’est jamais arrivé encore, confirme Mathieu D’Amours, conseiller en recrutement chez Lead RH. Par contre, on a reçu des CV avec de faux noms, comme des immigrants qui se font un nom plus occidental.» Zhao deviendra Kevin et Cristobal, Chris, par exemple.
Après son baccalauréat, Osama a justement envoyé une cinquantaine de CV en vain, jusqu’à ce qu’il écrive simplement Sam. Aussitôt, il a obtenu une convocation d’entrevue. Ces deux lettres de moins ont facilité sa recherche d’emploi ainsi que sa carrière. «Ça m’avait choqué à l’époque, mais c’était la réalité», affirme-t-il. Sam a même pensé changer officiellement de nom, mais craint de perdre une partie de son identité s’il le fait.
Les côtés sombres du CV anonyme
Bien qu’il semble favoriser les femmes et les personnes âgées à l’embauche, le CV anonyme empêche la mise en place des mécanismes de discrimination positive. Il ne permet pas non plus de lutter directement contre le racisme. «Le CV anonyme ne saurait constituer une démarche efficace pour lutter contre le racisme institutionnalisé en milieu de travail», selon ce que Fo Niemi, directeur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) de Montréal, a confié au journal français Libération.
«Je pense que ce n’est pas réaliste dans le marché de l’emploi actuel au Québec», affirme Sam, qui travaille lui-même en recrutement. Un CV sans nom serait bizarre, et même inacceptable pour certains employeurs, selon lui. Sans la volonté de ceux-ci de protéger l’anonymat, un CV sans nom provoquera la confusion et pourrait être rejeté, une situation qui n’améliore en rien la quête d’emploi de certains travailleurs découragés.