Designer de mode, prof et lauréate de la bourse Phyllis-Lambert Design Montréal, Ying Gao s’amuse à coudre et découdre la signification du vêtement en y intégrant critique sociale et technologie sensorielle.
Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste?
Tout d’abord, je ne suis pas artiste, mais bel et bien designer. Pour moi, l’art se situe à un tout autre niveau, à celui où on élève l’esprit, où on livre un message. Mon processus de travail et de création est bien défini. De plus, j’accorde beaucoup d’importance au prototype et à la finalité. D’ailleurs, je vérifie systématiquement la finition de mes travaux: mon côté petite couturière ressort.
Quel est votre parcours scolaire?
J’ai d’abord étudié en design de mode, pour ensuite compléter une maîtrise en médias interactifs et communication à l’UQAM. Celle-ci a ouvert mes horizons et m’a permis de rencontrer mon fidèle collaborateur, Simon Laroche.
Et du côté professionnel?
J’ai toujours été fidèle à l’industrie de la mode. Plus jeune, j’ai bossé pour plusieurs marques, en recherche de tendances ou en design, en plus d’être professeure à l’UQAM. L’enseignement a d’ailleurs pris aujourd’hui une place considérable dans ma vie: je me suis installée à Genève pour diriger le département Design mode et accessoire à la Haute École art et design de Genève pour la prochaine année.
En quoi consistent vos créations?
J’essaie d’examiner et de sculpter l’immatériel. Cette notion est au cœur de mon boulot. La lumière, par exemple, diffère aux quatre coins de la planète et confère à chaque ville un caractère bien plus unique que ne le font les monuments. L’immatérialité constitue aussi un moyen de m’extirper du monde trop palpable de la mode, et de mettre de l’avant les éléments intangibles qui nous entourent. Nous négligeons souvent l’importance d’un son, d’une pensée ou d’un regard, des aspects pourtant si inspirants.
Qu’est-ce qui vous allume dans le processus créatif?
Dans la vie, nous sommes toujours à la recherche de moments de grâce. Ça n’arrive pas souvent, mais quand ça se produit, c’est fabuleux. Quand on tombe amoureux, qu’on sort d’une salle de cinéma après avoir visionné un film merveilleux, qu’on termine un livre incroyable… Ça se produit par accident, mais c’est tellement intense. Quand une idée me vient en tête et que je sais instantanément que je suis sur la bonne voie, je vis ce moment de pure félicité. Oui, il ne dure que deux minutes: ça fait un ratio un peu pathétique, mais c’est ça!
Qu’est-ce que vous rêvez de créer?
J’aimerais faire un film: ça n’a rien à voir avec mon domaine!
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Quels sont vos projets?
Pour l’instant, l’enseignement et la gestion des expositions (négociations avec FedEx, les commissaires d’exposition et les musées), c’est hyper prenant. Ma prochaine idée, je tiens à la réaliser avec Simon Laroche. On avait déjà parlé d’un concept avec l’eau: déconstruire et reconstruire le vêtement, reformer sa structure à partir de cet élément.
Quelle est la pièce dont vous êtes la plus fière?
Je ne suis jamais fière; ça, c’est clair. Je suis enchantée d’un projet et tout particulièrement de mon premier essai à saveur interactive, en 2006. C’était une expérimentation avec toute la candeur et la volonté des débutants. Et j’ai eu la chance de côtoyer une équipe incroyable: Simon Laroche, Anne-Marie Laflamme, Isabelle et Maxime Giroux. De cette expérience complètement utopique est née Walking City, une série d’habits pneumatiques qui se gonflent et se dégonflent en fonction du son, du toucher et du mouvement.
Selon vous, que nous réserve le futur de la mode?
Je ne veux pas être pessimiste, mais rester tout de même réaliste: nous sommes une société de consommation rapide. Nous assisterons à la montée des chaînes comme Zara, Mango et autres si nous n’agissons pas. Le consommateur moyen n’éprouve pas le désir d’acheter un produit de créateur. On imagine, à tort, que dans 50 ans, nous porterons des tenues qui bougent, par exemple. Or, nous nous dirigeons tout droit vers les pantalons jetables à 5$. En signe de protestation, je radicalise ma démarche en produisant des objets invraisemblables, utopiques, expérimentaux. Ils n’ont rien à voir avec le futur: on parle du présent!
Création de la collection Science is fiction / Création de la collection Incertitudes
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Entrevues
Cette entrevue clôt la série de portraits d’acteurs du monde numérique présentés toutes les deux semaines par Métro dans le cadre du Printemps numérique, à Montréal.